Tout secteur qui décide, forcément à tort en cette phase cruciale que traverse la Tunisie, d’observer une grève, administre la preuve qu’il n’a aucun égard pour son pays et qu’il cherche tout simplement à l’enliser dans le chaos. C’est d’autant plus cynique que le secteur en grève se dit avec vanité: ‘‘Sans nous, le pays sera paralysé’’. En fait, il n’y a aucune vanité, aucune fierté à tirer d’une telle attitude irresponsable.
Les éboueurs observent donc une grève depuis bientôt une semaine. Raison invoquée : les pouvoirs publics leur ont promis une titularisation non exaucée à ce jour. Alors, ils ont tout simplement décidé de livrer le pays entier aux immondices et à la fange. Bravo. C’est probablement ça le sens du patriotisme.
Entassées dans chaque coin de rue, les ordures, en décomposition avec ce début de chaleur, dégagent des odeurs plus que nauséabondes. Après les chats et les chiens qui, à longueur de journée et surtout la nuit, viennent fureter dans les sacs à poubelles en quête de quelque nourriture, bientôt les rats apparaîtront. Et bonjour le choléra, sinon la peste qui, au milieu des années 1940, a fait des ravages en Algérie.
Sauf que dans ce bras de fer engagé par les agents municipaux qui cherchent à faire plier les pouvoirs en place à leur volonté, c’est la Tunisie entière qui va payer le prix cher. Nous sommes déjà au seuil de la saison touristique. Quel beau spectacle que vont admirer les visiteurs étrangers: un pays croulant sous les ordures, à commencer par Tunis, la capitale!
Cette situation a poussé les citoyens de plusieurs quartiers populaires des banlieues à incinérer les immondices, à n’importe quel moment de la journée. Ce qui a fait que l’air même est devenu toxique, irrespirable. C’est mieux que rien, diraient beaucoup.
Mais à Den Den, les citoyens ont trouvé une solution meilleure. Dimanche 10 avril, les jeunes, ceux-là mêmes qui ont veillé à la sécurité de leur quartier durant les nuits de terreur qu’a connues le pays à la suite de la fuite à l’étranger du président déchu, se sont constitués en comité de sauvegarde de la Révolution, ont loué un gros camion et se sont substitués aux éboueurs. Ils ont ramassé, rue après rue, toutes les immondices en criant: «Restez chez vous, Messieurs les agents municipaux, nous ne cèderons pas au choléra! Restez chez vous, on n’a plus besoin de vous!».
Ce geste hautement citoyen est à inscrire à l’actif de cette jeunesse qui ne cesse de nous éblouir: c’est elle qui a fait la Révolution, c’est elle qui a veillé à la sécurité du pays, et c’est elle qui se soucie de la propreté de son pays. En ces moments, la Tunisie, un peu partout, est encore sale, mais Dieu sait combien elle est fière de sa jeunesse!