Depuis 1957 et grâce au Code du statut personnel (CSP), les femmes tunisiennes ont acquis le droit au vote. Aujourd’hui et bien que majoritaires dans plusieurs instances comme la magistrature, l’enseignement supérieur, la médecine, elles restent fortement marginalisées dans les instances de prise de décisions politiques, sociales, économiques et culturelles. Pour celles qui représentent plus de 50% de la force électorale, le décalage entre les potentialités et leur représentation est énorme. Il atteint péniblement les 10%.
Autant la parité est pour certains un des défis les plus importants en cette période de transition démocratique, autant elle est considérée par d’autres comme un faux problème qui détourne de l’essentiel et noie les vrais débats.
Rencontre avec Faïza Skandrani, éditrice et militante féministe à l’origine du sit-in organsiné devant le Conseil économique et social (CES), le mardi29 mars 2011. Coordinatrice du Groupe d’Appui à la parité, elle participe mardi 13 Avril à une conférence organisée par l’Association des Tunisiens en France en présence de Françoise Gaspard, sociologue et féministe française. Plaider pacifiquement pour la démocratie paritaire et lutter contre la diffamation, le dénigrement, le harcèlement et les pratiques d’exclusion et de marginalisation des femmes des instances de décision est son quotidien. Elle s’y dédie avec acharnement depuis le 14 janvier 2011 face aux diverses menaces qui pèsent sur les femmes et leurs acquis.
WMC: La dictature Ben Ali a malmené autant les hommes que les femmes dans la politique. Pouvez-vous nous dresser un rapide bilan de l’implication des Tunisiennes dans la vie politique et associative en Tunisie?
Faïza Skandrani: La politique est un espace ignoré et marginalisé pour les Tunisiennes et Tunisiens. A l’exception d’une poignée d’opposants qui s’y adonnaient dans des partis officiellement reconnus ou pas, la culture politique est quasiment inexistante dans le pays. Les femmes, les ONG et autres associations féministes sont aussi peu connues. Elles étaient portées par des organisations gouvernementales comme l’Association tunisienne des mères (ATM) ou l’Union nationale de la femme tunisienne (UNFT) ou plus récemment par le simulacre et la mascarade de l’OFA.
Pour le moment et sans connaître dans les détails les pourcentages de participations des femmes dans les nouveaux partis, nous retenons deux femmes dans le bureau exécutif du parti Ennahdha et Maya Jerbi au PDP. Où sont les femmes en politique en Tunisie? Pourquoi sont-elles ainsi absentes?
Dès le lendemain de la Révolution, on a mis un «hijab» sur les compétences féminines comme s’il y avait une complicité entre le pouvoir et les médias afin de s’assurer de leur absence des micros et des plateaux Tv. Il ne fallait ni «montrer» des femmes, ni «faire entendre leur voix», ni soulever la question des droits des femmes et de la parité. Il fallait encore moins parler de la laïcité, ni revendiquer d’ailleurs quoi que ce soit!
L’urgence, selon certains, était ailleurs. Or, si les femmes font et subissent les Révolutions, elles sont les premières à en être exclues. Pour nous, il n’est pas question que les extrémistes de tous bords confisquent le pouvoir. Il est hors de question de rester spectatrices devant ceux qui font tout pour imposer leurs desiderata au gouvernement de transition et nous tiennent en otage.
Plus que jamais, des femmes comme Sana Ben Achour, Radhia Belhaj, Zekri, Bochra Belhaj Hamida, Salwa Charfi, Latifa Lakhdhar, Olfa Youssef, Zahia Jouirou, Sihem Ben Sidrine, Radhia Nasraoui, Neziha Rjiba qui ont montré leur courage sous l’ancienne dictature sont à mettre en avant. Nous établissons aussi des listes de femmes compétentes qui émergent comme Leyla Hamrouni Chaabouni du parti Ettajdid, Neila Jrad, Naima Rekik, Mariam Tangour, Fetiha Saïdi, Salwa Kennou, Amel Fakhfakh … Il est primordial de renouveler notre vivier. Des compétences engagées porteuses de progrès pour notre pays.
Pourquoi seulement 33 femmes sur 112 hommes dans le Haut Conseil pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ?
Nous enregistrons avec regret le déficit du nombre des femmes au sein du Haut Conseil pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Les femmes ne sont que 30 sur 145 membres. Il est urgent et vital de revendiquer, haut et fort, l’équitable représentation des femmes au sein de cette haute instance. Je pense aussi que le Conseil de protection de la Révolution ne représente pas le peuple tunisien. Ces conseils affichent des pratiques de harcèlement et de dénigrement envers les femmes.
Les femmes tunisiennes en politique restent désavantagées par rapport aux hommes. Cela tient-il uniquement au regard porté sur elles par la société?
Les femmes prennent à cœur leurs missions et ne veulent être ni des potiches ni des bonniches au service des hommes. Les femmes qui s’engagent en politique ne le font pas à moitié. Elles ont confiance en elles et mettent en avant des aptitudes pour toutes épreuves.
L’expérience dans les structures associatives est l’un des meilleurs champs d’apprentissage de la «praxis» politique. Quand elles arrivent dans un contexte démocratique, les femmes sont souvent la dynamo des partis et des ONG. Sachez tout de même qu’elles fournissent souvent trois fois plus d’efforts que les hommes pour percer le «plafond de verre» qui les emprisonne !
Justement, comment faire en sorte que les femmes s’impliquent davantage dans le processus décisionnel pour mener vers les meilleures politiques et de représentativité?
Je dirais un mot, Parité, pour en arriver à une Constitution égalitaire. Les femmes doivent et peuvent figurer sur les listes électorales de l’Assemblée Constituante. C’est à nous, en tant que «Groupe d’Appui à la Démocratie Paritaire» de les appuyer, en les amenant à faire acte de candidature.
Il s’agit aussi de leur donner plus d’espace et de visibilité. Négocier avec les partis progressistes de la question de la parité est un enjeu important. Le vote de l’électorat des tunisiennes constitue 51% du pouvoir électoral dans notre pays. De toutes les tendances, elles doivent œuvrer à défendre une vision progressiste de la société qui irait vers une amélioration et non vers une régression du Code du Statut Personnel.
Et justement, ce fameux Code du statut personnel en Tunisie est considéré comme un acquis considérable. Peut-on affirmer qu’un danger pèse sur lui? Comment le préserver?
Tout le monde semble s’accorder sur son importance. Il s’agit d’un acquis qui a fait de la Tunisienne et de la Tunisie ce qu’elles sont. Mais pour beaucoup, le CSP est aujourd’hui dépassé. Il est grandement temps de le faire progresser pour la parité et l’égalité des chances.
Comment ?
Tout simplement en mettant la Parité dans le Code électoral. C’est elle la garantie d’élections démocratiques et en même temps un garant de la sauvegarde des acquis de la Révolution. Même Rached Ghannouchi l’a déclaré dans certaines de ses interviews. A moins d’un double langage destiné à séduire l’électorat, je ne pense pas qu’il y a un danger immédiat.
Le réel enjeu pour nous est que le code électoral soit rédigé avec le souci d’encourager financièrement les partis politiques qui œuvrent pour la parité tout en sanctionnant ceux qui s’en écartent. Avec ces précautions, le CSP sera à l’abri de toutes formes de manipulation ou malversations.
Donc aujourd’hui et pour ne pas perdre du temps, vous y allez franchement. Vous demandez la parité ?
Absolument. Les femmes ont un énorme travail de communication et d’information à faire pour secouer toutes les perceptions négatives laissées par le pouvoir déchu. Un Groupe d’Appui à la Démocratie Paritaire a mis en place un plan d’action et nous avons organisé notre première action mardi dernier. Nous avons distribué en main propre aux membres du Conseil pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la Réforme politique et de la transition démocratique nos revendications.
Vous savez, la Parité totale n’est pas une vue de l’esprit. Elle existe en Afrique du Sud, au Rwanda, au Mozambique et au Sénégal. Alors pourquoi pas en Tunisie? La Parité doit être inscrite dans le Code électoral pour baliser la voie à l’Assemblée Constituante et à la Tunisie démocratique.