Libre, c’est le sentiment qu’on a lorsque nous voyons Habib Ammar, directeur de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT). Généralement discret, ne se mettant jamais en avant, cet homme qui a occupé de nombreuses fonctions au sein de différents départements ministériels dont celle de directeur du Bureau de la Mise à Niveau touristique et directeur du Bureau des études et du suivi de la conjoncture économique au ministère de l’Industrie, affiche une posture affirmée et un optimisme sincère pour un devenir radieux du tourisme national. Aujourd’hui que l’initiative a été récupérée par ceux qui veillent sur la bonne santé et le développement du secteur, les portes sont ouvertes sur toutes les possibilités, celles de porter le tourisme tunisien au zénith. «Parce qu’aujourd’hui, nous parlons d’un pays libre», clame Habib Ammar.
Entretien.
WMC : La stratégie 2016 de laquelle on a beaucoup parlé l’année dernière servira-t-elle de feuille de route pour votre programme de développement du secteur touristique?
Habib Ammar: La stratégie 2016 a été commandée en 2008 alors que nous avions d’ores et déjà deux études assez intéressantes, l’une réalisée par la Banque mondiale et l’autre par JAICA (la coopération japonaise). Le diagnostic du secteur, ses points faibles, forts, ses carences, ses produits, ses offres, nous les connaissons parfaitement. Les bailleurs de fonds voulaient accorder un montant de 1 MDT à la Tunisie pour faire des études. L’objectif de cette étude était de faire un plan d’action que nous pouvons mettre en œuvre dans le secteur touristique. Ce qui n’a pas été fait dans les études précédentes.
Le diagnostic opéré par cette étude a permis d’actualiser un certain nombre de points, en particulier l’importance du web, ce qui s’est répercuté dans le plan d’action qui a consacré une partie importante au web. Cette étude nous a été très utile et nous pouvons aujourd’hui nous baser sur le plan d’action qu’elle a préconisé pour nous mettre sérieusement au travail et remettre d’aplomb le tourisme national.
Il y a toutefois deux éléments qui ont été négligés par l’étude en question et qui se rapportent au tourisme local qui doit être développé au plus tôt et au rôle du tourisme dans le développement régional.
Il est clair qu’aujourd’hui, nous ne devons plus parler de maux mais y remédier et il est clair que le tourisme a failli au niveau des régions. Le tourisme doit contribuer au développement régional. Faute de moyens, mais il fallait éventuellement réduire des investissements dans des régions favorisées pour participer à la dynamisation économique des régions.
A propos de tourisme local, pourquoi autant de résistance de la part des hôteliers quant au développement d’un flux de touristes de l’intérieur du pays?
A propos de tourisme local, nous avons la fâcheuse habitude d’en parler et d’y penser en cas de crise uniquement. C’est toujours conjoncturel, or tous les pays développés touristiquement sont adossés à un tourisme local en pleine expansion. La principale faiblesse du tourisme tunisien concerne la composante locale car c’est un secteur qui évolue en tenant compte des aléas de la conjoncture internationale.
Nous n’avons pas instauré des traditions de tourisme intérieur alors qu’en principe il doit servir de matelas solide, le reste étant le plus. Le tourisme local doit servir de base pour le développement touristique. Donc, sur le moyen et long termes, nous devons avoir un plan d’action efficace pour développer ce tourisme en ne recourant pas à cette solution magique qui consiste à dire à l’hôtelier de baisser les prix pour les Tunisiens. Les prix sont soumis à la loi de l’offre et de la demande, et nous ne pouvons pas aller contre la logique économique.
Par contre, ce qu’il faut faire, c’est de diversifier les modes d’hébergement. Il faut construire des résidences privées, des appart’ hôtels. C’est une catégorie d’hébergement complètement négligée et marginalisée. L’Etat a un grand rôle dans le développement de ce produit par la mise en place d’incitations et d’encouragements, d’autant plus que les clientèles algériennes et libyennes le préfèrent aux modes d’hébergement classiques. Grâce à un tourisme maghrébin fort, nous aurons assez solides pour affronter n’importe quelle crise. Les marchés algérien et libyen ont été négligés alors qu’ils disposent d’énormes potentiels.
Qu’allez-vous faire pour dynamiser ces marchés?
Nous avons déjà décidé d’accorder une attention particulière à ces marchés qui ne bénéficiaient même pas d’un budget de communication. Cette année, nous montons une campagne tous azimuts en Algérie. Rien n’y échappera, télévision, affichages urbains, jeux dans les médias, rien ne sera épargné, on procèdera comme dans tous les marchés européens.
Et comptez-vous lancer une campagne de communication en direction de la population tunisienne à propos de l’importance du tourisme pour notre pays?
Dans les tous prochains jours, vous verrez une campagne médiatique à travers tout le pays pour expliquer aux Tunisiens l’importance du tourisme pour notre économie, la chaîne de valeur du secteur, ce que veut dire un touriste et ce qu’il rapporte pour le pays. Nous voulons que nos concitoyens comprennent que chacun d’eux a un rôle à jouer. Donc toute action nocive de la part de l’un d’entre nous peut nuire à l’image du pays et a des conséquences sur la vie d’autres Tunisiens.
Le tourisme fait vivre 400.000 compatriotes, si on les multiplie par 5, c’est pratiquement 2 millions de Tunisiens. Le Tunisien est fondamentalement ouvert et je pense qu’il sera très réceptif aux messages que nous lui transmettrons quant à l’importance de l’activité.
Qu’en est-il du para-touristique? Pas de lieux d’animation adéquats, pas de restaurants stylés, pas de cabarets haut de gamme, pas de casinos… c’est le désert.
Avant la révolution, le ministère du Tourisme subissait d’énormes tensions. Il n’avait pas droit au chapitre ou très peu. Résultat, nous avons un para-touristique très approximatif.
Pour ce qui est du tourisme culturel, entre les deux ministères, du Tourisme et de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, les visions étaient diamétralement opposées. Alors que le ministère du Tourisme tenait à diversifier ses produits, celui de la Culture tenait à préserver ses sites. Aujourd’hui et grâce à la révolution, les concertations entre les deux ministères vont bon train et nous projetons de nous lancer dans des actions communes. Le patrimoine culturel sera mis à la disposition du ministère du Tourisme pour en faire un facteur enrichissant de ses produits, celui de la Culture veillera à le protéger et interviendra s’il y a un risque.
Pour ce qui est de l’animation, il est anormal que dans un pays touristique les licences d’alcool soient autant difficiles à avoir. Elles dépendaient auparavant du président de la République, aujourd’hui, les choses ont changé, les formalités sont devenues beaucoup plus souples.
Pareil pour les casinos, à chaque fois qu’il y a une demande d’agrément, on procède à des enquêtes et des investigations interminables. Nous présidions en tant qu’ONTT la commission pour accorder les agréments mais nous ne décidions de rien. Alors qu’un produit casino peut très bien réussir à Tozeur, mais aussi à Tunis. Comment une capitale qui abrite tout au long de l’année des réunions, des forums et des congrès, ne possède ni Casino ni cabaret de renom? Si nous voulons développer le tourisme d’affaires, il faut doter la capitale de bars, de restaurants et de lieux de distraction.
Pourquoi les campagnes promotionnelles internationales du tourisme ne sont pas aussi performantes que celles d’autres pays? Lors de l’ITB, Berlin, l’Egypte vendait déjà la place Ettahrir et même s’il ne faut pas utiliser une révolution en tant qu’argument de vente, car on ne commercialise pas une révolution, il paraît que le pavillon tunisien n’a pas eu le succès escompté.
En ce qui concerne la comparaison Egypte-Tunisie, je suis obligé de vous dire que nous n’avons pas les mêmes moyens, mais ils n’excusent bien sûr pas les défaillances, si défaillances il y a. Je dois tout de même vous renvoyer à certains éléments objectifs. A la fin de l’ITB Berlin, le stand tunisien à Berlin a été classé troisième par les professionnels du Salon, le stand égyptien pour sa part a occupé la 7ème place. Alors qu’il était 10 fois plus grand et 10 fois plus étoffé. L’ONTT n’a pas les mains libres car on l’oblige à travailler avec des agences pendant 3 ans.
Ces agences étaient sélectionnées selon le rituel suivant: une liste de 10 agences et à chaque fois les agences doivent être différentes. Dans la commission tripartite créée pour l’occasion, il y a le ministre du Tourisme, le directeur général de l’ATCE et le ministre des Affaires étrangères qui faisaient la short list qui montait ensuite jusqu’à Ben Ali qui faisait lui-même l’arbitrage. Automatiquement, cela se répercute sur les prestations.
Aujourd’hui, les choses vont changer. Nous sommes en contrat jusqu’à 2012 avec ces agences.
La promotion d’une destination touristique peut également se faire via les ambassades, surtout dans les pays où il n’y a pas de représentations de l’ONTT. Avez-vous des actions conjointes avec le ministère des Affaires étrangères?
L’image de la Tunisie à l’international a été pendant des décennies écornée par le fait même que les campagnes promotionnelles que nous réalisions n’avaient pas l’effet escompté. La raison en est les contre-campagnes faites par les associations des droits de l’Homme qui décriaient les exactions commises à l’encontre des droits de l’Homme, de la liberté de presse et de la démocratie. Les milliards de dinars dépensés dans la promotion disparaissaient sous les flots des accusations de tortures, d’arrestations abusives et d’attaques ou de violations des défenseurs des droits de l’Homme.
Les efforts des diplomates n’y changeaient rien. Aujourd’hui, notre prestige est au zénith, la dignité de la démarche des jeunes et notre image est de nouveau reluisante. Le monde entier nous reconnaît le mérite d’avoir déclenché une vague de révolutions libératrices dans nombre de pays. Bertrand Delanoë (le maire de Paris, ndlr) a proposé que le prix Noble de la paix soit décerné à la Tunisie. Ceci dit, nous n’userons pas de notre révolution pour vendre la destination car elle est sacrée. Mais nous parlerons d’un beau petit pays millénaire qui recèle en lui des richesses infinies humaines, naturelles et civilisationelles et qui est aujourd’hui libre
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Quel est le programme d’action de l’ONTT pour améliorer la qualité des services hôteliers. Ne faut-il pas profiter de cette période de vaches maigres pour le tourisme et en profiter?
Il y a dix jours, j’ai donné des instructions à l’ensemble des inspecteurs de l’ONTT, d’aller visiter chacun dans sa région, les unités hôtelières et d’établir des états des manquements et des insuffisances. Cela servira de feuille de route pour les hôteliers pour qu’ils procèdent aux réparations et aux … nécessaires.
Dans cette première phase, ce ne sont pas des inspections assorties de sanctions. Tous les hôtels passeront par des inspections assistance, ils auront des fiches sur ce qu’ils doivent faire pour y remédier.
Au niveau de la formation, la Fédération de l’hôtellerie va mettre en place un programme pour des formations soutenues en direction des personnels, il faut améliorer la qualité de services et avoir des employés bien formés, un climat social dans les hôtels apaisé et stable. Il faut être à la hauteur des attentes. Une action à l’échelle formation tous azimuts.
Sidi Dhrif, qu’en est-il de la qualité des formations dispensées au niveau de cet Institut sensé offrir les meilleurs profils des personnels hôteliers toutes catégories confondues au marché?
Il ne faut pas avoir de complexes, tous les pays devenus aujourd’hui des destinations touristiques de choix de par le monde se sont adressés à des experts et des compétences étrangères.
Lorsque la Turquie a décidé de développer son tourisme, elle a fait appel à des étrangers pour gérer des hôtels, ce qui a permis de former au mieux les personnels hôteliers. Les Tunisiens, pour leur part ont renié tout besoin d’expertises étrangères, surtout ces 23 dernières années croyant être les meilleures, ceux qui ont exporté le savoir-faire touristiques au Maroc et à la Turquie. Cette attitude suffisante a été nocive pour le pays. Les autres destinations nous ont dépassées de loin en matière de qualité de service. J’estime en ce qui me concerne qu’il est impératif de recourir à l’expertise étrangère en matière de compétences. En se lançant via les écoles hôtelières dans des jumelages avec des instituts internationaux de références, tel Paul Bocus en France, Lausanne en Suisse et autres.
Il faut que chaque école signe un accord de jumelage avec une école internationale prestigieuse.
Comment vous pouvez soutenir ce genre d’initiative?
Nous avons déjà commencé à le faire avec le ministère du Tourisme. Nous devons passer au concret le plus rapidement possible car il faut reconnaître qu’aussi vrai que l’Institut Sidi Dhrif a dispensé des formations assez brillantes et nous avons beaucoup de ressources humaines diplômés de cet institut qui rayonnent à l’étranger, mais aujourd’hui, les choses ont évolué et l’Institut n’arrive plus à accompagner les évolutions rapides du secteur touristique.
Toutefois, il ne faut surtout pas penser que la qualité de service dépend uniquement de la qualité de la formation académique reçu par l’employé, qu’il soit cadre ou exécutant.
L’encadrement et le coaching au sein de l’unité hôtelière elle-même est aussi important, sinon plus. Un accompagnement professionnel personnalisé permettrait d’obtenir des résultats édifiants. Parfois de brillants éléments mal encadrés tombent dans l’acquis et la médiocrité et d’autres moyens se surpassent tant ils sont bien entourés et soutenus dans le milieu du travail.
C’est l’ONTT qui donne les agréments aux directeurs des hôtels, vous êtes donc un peu responsables de cet état de fait non?
Il est vrai que c’est nous qui accordons les agréments, mais les critères sont trop vagues. Le diplôme donne le minimum, l’expérience sur terrain donne le plus. Il s’agit également de bien rémunérer les plus hauts responsables au sein d’une unité hôtelière. Car c’est un métier très difficile, un métier où l’expérience est très importante et cela se paye. Il ne faut pas remettre tout le temps en question les rémunérations élevées de certains hôteliers ou restaurateurs, car ce sont des métiers où le sens du détail est essentiel et dans lesquels le vécu est déterminant. Les rémunérations de ces hauts dirigeants se fait surtout sur leur expertise et leur vécu et non sur leurs diplômes.