Dans une récente interview accordée à une radio nationale, le cheikh Rached Ghannouchi a dévoilé les contours de ses ambitions, entre autres pour le tourisme tunisien. Tout un programme! Selon sa définition, le tourisme est «le fait de voyager dans, ou de parcourir pour son plaisir, un lieu autre que celui où l’on vit habituellement»… Voyages et plaisirs, des mots qu’il faut redéfinir selon le concept du cheikh qui en vient rapidement à l’essentiel: interdire l’alcool et adapter les unités hôtelières tunisiennes aux besoins de touristes musulmans. Il ne reste aux professionnels du secteur du tourisme en Tunisie qu’à se réjouir. Ils rêvaient de mise à niveau hôtelière, le cheikh Rached taille dans le vif. Il propose plus, une mise à niveau à son goût.
Pour le parti Ennahdha, le secteur du tourisme offre «des potentialités de développement considérables». Et justement, son approche consiste en «la restructuration des unités hôtelières pour pouvoir cibler des marchés prometteurs, notamment asiatiques et islamiques». Qu’à cela ne tienne! Ces nouveaux marchés pour la destination tunisienne «ghannouchienne» ont réalisé des chiffres édifiants qui augurent de très bonnes perspectives. Ils se passent de commentaires.
Selon les statistiques de l’ONTT, nous avons reçu en 2007, 37.788 ressortissants des pays Moyen-orientaux. En 2008, ce chiffre est passé à 41.833 pour retomber à 40.284 en 2009. Par nationalités, la Tunisie a enregistré par exemple l’arrivée de 726 Yéménites, 1.026 Soudanais, 6.633 Saoudiens et 7.199 Iraniens… Mais qu’est-ce à dire? Ces chiffres que l’on conteste depuis toujours, viennent d’un autre temps. Du temps d’avant la révolution et des futures élections qui porteraient Ennahdha avec pareils programmes économiques au pouvoir.
Si l’on s’en tient aux sept millions de touristes qui fréquentent actuellement la Tunisie, et selon les propositions de Rached, au mieux nous ne perdrons qu’à peine trois millions d’Européens. Au pire, les deux millions de touristes Libyens et Algériens qui, voyant la destination devenir, pour le moins que l’on puisse dire, austère, ne viendraient plus.
Mais rassurons l’industrie touristique tunisienne, cette vision du tourisme pousserait aussi ceux qui boudaient la destination à la choisir. C’est juste le profil de la clientèle qui changerait. Cela fait des lustres que l’on appelle à la diversification des marchés, sans succès! C’est exactement ce que prône Rached. Il serait alors juste question de mettre des avions sur les marchés cibles comme l’Iran, le Pakistan, l’Indonésie ou l’Arabie Saoudite…
Commencer par acheter des avions et nous serions alors engloutis par la demande pressante d’une clientèle acquise et dans l’attente de produits «hallal» originaux «made in Tunisia». Des hôtels sans mixité, sans alcool, sans discothèques, des piscines, des spas, des hammams pour femmes et enfants et d’autres pour hommes…
Il va de soit que cette mise aux normes a un coût. Seul hic, c’est que le temps de faire cette révolution, il risquerait d’y avoir de nouvelles élections démocratiques qui balaieraient les projets «ghannouchiens» pour la Tunisie et son tourisme. Un million et demi de Tunisiens vivent du tourisme et le temps que ce gros chantier se concrétise, ils risqueraient de refaire une autre révolution. Celle-là sera celle de la faim.
Pour le moment, il convient d’identifier les besoins des touristes plus «vertueux» que l’on va «marketer». Les vacances à l’étranger sont aussi synonymes pour eux de plaisirs interdits dans leurs pays. S’ils aiment autant flâner à Paris ou à Londres, ce n’est pas uniquement pour la culture et la qualité de services. La Tunisie n’est pas suffisamment intéressante en matière de shopping, de casinos ou d’hôtels luxueux. Elle n’est pas aussi assez permissive, pour que des clients qui fréquentent des destinations comme Dubaï, l’Egypte ou la Thaïlande. Et pour cause!
Souvent en référence, Rached Ghannouchi cite le modèle turc et on ne peut alors que s’y pencher. Accueillant près de 30 millions de touristes, une nette augmentation du nombre de touristes issus du Moyen et Proche-Orient est incontestable. A titre indicatif, la Turquie reçoit plus d’un million d’Iraniens et s’outille pour répondre aux attentes d’un tourisme islamique en expansion.
On comprend d’ailleurs aisément qu’il soit important pour la destination d’absorber une partie des 20 milliards de dollars que dépensent les touristes des pays du Golfe selon certaines études. Pour y répondre, la Turquie possède des atouts et des outils exceptionnels comme une des compagnies aériennes les plus compétitives qui soit. En termes d’offre hôtelière, la Turquie affiche certes plus de 26 hôtels islamiques mais sur un total de 2.500 structures hôtelières. Récemment, le premier hôtel pour nudistes dans un pays musulman y même a été ouvert et les nuits d’Istanbul de Bodrum sont célèbres pour l’alcool qui y coule à flots. Ce ne sont pas les trois millions de touristes allemands qui se rendent sur les plages d’Antalya tous les ans qui resteraient sans bière!
Le tourisme est le plus gros business qui soit, et alors que la majorité des pays du monde s’évertue à se créer une image de destination touristique, la version telle que revue et corrigée by Rached chercherait à priver la Tunisie de cette manne capitale pour notre pays. Entre le trou gigantesque que provoqueraient ces choix dans les caisses de l’Etat et plonger une bonne frange de sa population dans la dépression et le chômage, il n’y a qu’un pas.
Si l’on venait à interdire l’alcool aussi progressivement que le souhaite Rached, on enregistrerait une perte de 200 millions de dinars de taxes que prélève l’Etat sur l’alcool. Comment les remplacer? Peut-être par la «baraka» ou «la rouzoutta».
Pour le moment, la vision de ghanouchienne a des arguments que la raison n’a pas ou plutôt des arguments que ni la raison ni le tourisme n’auront.