Après la “dégage attitude“ qui a sévi des mois entiers, nous observons ici et là des incitations à la violence, au régionalisme et carrément au meurtre. Une situation alimentée par les haines, l’argent ou les dosages homéopathiques de la sécurité. Où va-on? Pourquoi laisse-t-on la situation se détériorer? Qui alimente la politique du pourrissement et celle de la division?
De Tabarka à Djerba, retour sur un autre week-end violent.
A Tabarka, Sami D. se remet difficilement de ses émotions: «On a saccagé la clinique, brûlé deux ambulances et cassé mon hôtel. Cette escalade de violences est très dangereuse. On a voulu assassiner mon père. S’il est coupable, c’est à la justice d’en décider. Où va-t-on avec cette folie de violence et de vindicte qui souffle sur le pays?», ne peut s’empêcher de hurler le fils de Jilani Daboussi. Accusé de corruption et d’abus de pouvoir, l’ex-maire a été sauvé in extremis par l’armée, alors que c’est l’ensemble du système sécuritaire de la ville de Tabarka qui aurait laissé faire en début de soirée et selon de nombreux témoins. Qui joue au chat et à la souris? Qui est la souris et qui est le chat?
Après Tunis et les incidents du Sidi Boumendil, c’est au tour de Djerba de subir une vague de violences sans précédent. Les versions se télescopent. Les uns affirment que les Djerbiens, mis à mal par la crise du tourisme, en appellent au chauvinisme et souhaitent «nettoyer» leur île des gens de Kasserine et Sidi Bouzid qui confisquent leur travail. D’autres affirment que les insulaires sont pris en otage par «des bandits et des voyous qui sont venus à la rescousse d’une femme travaillant dans un commerce illégal pour semer la pagaille sur l’île». Depuis, ils refusent même de payer le bac pour accéder à l’île sous prétexte qu’ils sont dépositaires de la révolution et qu’ils ont le droit de s’octroyer quelques largesses.
Un café a été brûlé, des voitures incendiées, le marché hebdomadaire annulé… La police a commencé son travail dans la nuit d’avant-hier et l’on observe un retour au calme progressif.
D’une semaine à l’autre, les incidents sont de plus en plus nombreux. Une partie des Tunisiens se violente et s’agresse. Souvent, ce sont les plus bruyants ou violents que l’on entend. Ces actes, de moins en moins isolés, sont vite repris par les medias, les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille. Sans chercher ni à les amplifier ni à les nier, ils sont la preuve d’une sécurité qui peine à revenir et d’un climat de tension que des forces ne cessent d’alimenter.
Les heurts, devenus habituels dans les contextes revendicatifs dans les entreprises publiques et privées, sont aussi en train de passer à de la criminalité. L’usine de tannerie située dans la région d’Ennfidha et dont les problèmes environnementaux ont été l’objet d’un sit-in et d’un blocage de l’autoroute, a été incendiée hier. A Gabès et selon certaines sources, c’est un groupe de jeunes qui a coupé l’eau sur une partie de la ville. Dans les zones agricoles d’El Fahs et de Zaghouan, les saccages continuent. Même le bétail n’y échappe pas.
Face à ces incidents, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi la police est difficilement là quand il s’agit d’arrêter des actes violents ou des malfaiteurs dangereux et bien là quand il s’agit des manifestants pacifistes? Pousse-t-on les Tunisiens à devenir tous des justiciers dans les villes? Pousse-t-on la population à vivre dans la terreur? Ces actes de violence sont-ils orchestrés? Sont-ils financés et par qui?
Bien que l’on observe un retour progressif de l’appareil sécuritaire du pays, celui-ci reste encore inefficace. La police, traumatisée par la perte de son pouvoir absolu, se remet au travail. L’armé, elle, veut continuer à passer pour l’héroïne.
Selon un communiqué rendu public hier, le ministère de l’Intérieure confirme avoir arrêté, du 1er février au 11 avril 2011, 11.377 délinquants impliqués dans des actes de pillage, de vol et de destruction, dans des opérations de trafic de drogue, ou pour avoir terrorisé des citoyens. 2010 détenus évadés des prisons tunisiennes ont été reconduits dans les établissements pénitentiaires.
Qu’à cela ne tienne! La politique tendancieuse du laisser-faire et laisser pourrir a suffisamment alimenté les tensions. Aujourd’hui, c’est aussi et surtout à la justice de répondre et d’assumer son rôle et il y a urgence. La culpabilité n’attend plus d’être confirmée. La rue n’attend plus ni procès ni jugements, et une autre forme de justice est née. Celle-ci passe par une dose d’opinion publique et de nombreuses doses de manipulations diverses.
Est-ce sur fond de manipulations avec le tribalisme et le régionalisme que la guerre des clans refait surface? Est-ce avec l’alimentation des revendications de justice, des ressentiments et des haines que l’on va construire une meilleure Tunisie?
Après le chantage à la faillite économique, voilà que c’est le chantage sécuritaire qui revient en force. Les incitations aux diverses formes de haines peuvent prendre des proportions alarmantes. Faire peur, pousser à l’exclusion et agiter les menaces de tous genres, y compris celles du religieux est une vieille technique qui a fait ses preuves et pendant longtemps. Nous n’allons pas y sombrer encore et encore.
Dans une situation de transition fragile, il est important de communiquer davantage, de rassurer, de répondre aux attentes et d’anticiper les opinions. Il est difficile au gouvernement et aux divers partis politiques expérimentés ou naissants de faire le «gap». Le gouvernement n’a jamais communiqué que dans un seul sens. L’opposition traditionnelle n’a jamais communiqué que pour dénoncer, et les nouveaux partis sont encore à la structuration de leurs bases et discours.
En face, les attentes et les aspirations de la population sont énormes. Leurs besoins de réponses en tous genres sont innombrables. Les médias qui ne sont presque jamais allés chercher les vérités sur le terrain ont un rôle crucial à redéfinir et à jouer. Ils ont surtout un métier à redéfinir. Les libertés s’acquièrent et la démocratie se vit. Elle s’apprend tous les jours. Quel qu’en soit le coût… .