Le retournement de veste ou plutôt celui du tricot de corps est devenu un sport
national. Et à chaque manifestation publique, nous voyons ceux qui étaient les
fervents défenseurs du régime d’hier, faisant preuve d’un zèle pour le moins
révoltant et prenant sa défense avec force conviction, occuper aujourd’hui les
devants de la scène publique et médiatique sans autre forme de regrets ou de
remords…
La décence n’est plus à l’ordre du jour, et la force d’adaptation des Tunisiens
au gré des contextes et des personnes, tant appréciée auparavant car dénotant
d’une attitude conciliante et accommodante, frise aujourd’hui l’impudeur tant
elle est choquante et à la limite grossière.
La Tunisie de la révolution châtie les grandes figures, celles que le régime
mettait en avant, celles que les ambitions politiques ont aveuglées à tel point
qu’elles fermaient les yeux sur les exactions d’un système oppressif, pervers et
avide.
Par peur ou pour préserver leurs intérêts? La question ne se pose plus, et ces
personnalités, qui faisaient la pluie et le beau temps, paient aujourd’hui de
cette promiscuité qui ne pouvait que leur nuire à terme. Quand on fréquente un
charbonnier, on attrape sa noirceur…
Quid des hommes de l’ombre? Ceux qui collaient à ces personnalités, profitant de
leurs largesses, de leurs relations, servant pour eux de sociétés écrans ou
d’intermédiaires, leur dispensant de précieux conseils et montant pour eux des
schémas pervers et d’une telle sophistication pour spolier le pays que des
experts chevronnés ont du mal à en dénouer les contours.
Où sont ces chefs d’entreprise “amis des proches de la famille“ qui affichaient
un mépris choquant envers l’Etat, le peuple et leurs propres employés et
profitaient du jeu malsain de leurs «amis» hauts placés? Ces hommes d’affaires
qui se disputaient les faveurs de Messieurs-dames s’écrasant sans la moindre
vergogne à leur passage, cherchant leur compagnie? Où sont ces avocats, ces
experts-comptables, ces experts financiers et ces banquiers qui ont, eux-mêmes
ficelé les plans machiavéliques pour le cambriolage et la mise à sac de leur
pays?
Où sont ces artistes qui, grâce à leurs relations avec «la familia», ont pu
profiter non seulement de fréquentes apparitions dans les festivals et d’une
place de choix dans les médias, mais ont eu également des autorisations pour
ouvrir des cafés et des centres d’animation?
Tout ce beau monde se pavane aujourd’hui dans le tout Tunis, sans même essayer
de se faire oublier, affichant une innocence qui ne trompe personne. Nous en
avons vu des spécimens vendredi dernier (8 avril 2011) à l’IACE (Institut arabe
des chefs d’entreprise) au forum ouvert par
Béji Caid Essebsi sur le programme
économique du gouvernement de transition. Parmi eux, il y en a même qui se sont
assis aux “premières loges“… Pour ceux qui connaissent leur historique, cela
frôlait la provocation!
Ceux qui font la révolution pour le pouvoir
L’autre face de la Tunisie révolutionnaire aujourd’hui c’est celle des
«révolutionnaires» d’antan, ceux qui passaient leur temps à défendre les droits
de l’Homme et critiquer les pratiques malsaines du régime. Ceux qui ont brandi
l’étendard des libertés, du respect de l’intégrité physique et morale et qui
souffraient chaque jour, heure et minute, du harcèlement de la police politique
et de la guerre sans merci qu’elle leur livrait.
Ceux-là qui dénient à nombre de Tunisiens aujourd’hui d’être considérés en tant
qu’individus qui ont des droits qui doivent être respectés, qui ne réagissent
pas lorsque juges et avocats intègrent un Conseil pour la protection de la
révolution ou s’attaquent à leurs confrères ou consœurs. Ceux-là même qui
dénient au palais de la Justice d’être le temple de la justice pour régler leurs
propres comptes allant jusqu’à y égorger un mouton et pousser des youyous….
Aux dépens de qui, de la justice de demain?
“La révolution ne supprime pas les privilèges, elle se borne à changer les
privilégiés”, disait Philippe Bouvard. Est-ce le cas de ceux qui, d’ores et
déjà, affichent leurs ambitions politiques. Parmi eux, quelqu’un clame haut et
fort: «Je n’accepterai pas moins qu’un poste d’ambassadeur!». Rien que cela!
Mais où est donc passé l’esprit révolutionnaire? Celui, altruiste, généreux,
soucieux de l’intérêt général et surtout désintéressé?
“Souvent, les révolutionnaires d’autrefois ont succombé à l’appât du gain et se
sont laissés prendre à la tentation de confisquer des ressources publiques pour
leur enrichissement”.
Nelson Mandéla ne croyait pas si bien dire.