Tunisie : Farès Mabrouk lance l’Arab Policy Institute


fares-18042011-art.jpgFarès Mabrouk, entrepreneur tunisien spécialisé notamment dans le mobile banking
et la logistique pétrolière, est diplômé de la Kennedy School à Harvard. Il fut
également, selon (Palestine – Solidarité
),
attaché de cabinet au ministère tunisien de l’Energie et de l’Industrie.
Chercheur à l’Université de Yale, aux Etats-Unis, et directeur de l’Institut
arabe d’études politiques, qu’il a par ailleurs fondé, il a notamment été un
acteur de l’offensive internet pendant la révolution de Jasmin.

Farès Mabrouk nous parle, dans l’interview ci-dessous, de l’Arab Policy
Institute (API, ou l’Institut arabe des études politiques) qu’il a récemment
créé.

WMC: Comment est né ce projet de think tank?

Farès Mabrouk: L’idée du projet est née il y a quelques temps déjà, et plus
précisément durant mon séjour à Yale University (en tant que Yale World Fellow
2010). Au sein de cette université, je ne me suis éduqué dans ce domaine, j’ai
travaillé pendant six mois sur ce qu’est un think tank, quelle est sa vocation,
comment on le gère, etc. Il y a plusieurs modèles de think tank: certains sont
engagés, d’autres indépendants.

Mon rôle à Yale s’est terminé au mois de décembre 2010. Je suis rentré avec
l’idée de créer le think tank, ici en Tunisie, en France ou aux Etats-Unis.
Finalement, le think tank a été créé une semaine après le 14 janvier. Il
s’appelle Arab Policy Institute (API), ou l’Institut arabe des études
politiques.

L’industrie des think tanks a plusieurs vocations. Pour simplifier, disons que
chaque société se pose des questions très complexes et qu’il faut des cadres
appropriés pour qu’elles y soient débattues. Là, la première vocation d’un think
tank est d’essayer d’imaginer des solutions, des réformes politiques,
économiques, sociales, etc. Cette réflexion ne peut pas être uniquement du
ressort de l’Etat ou du gouvernement, comme cela a été le cas avant, sous
l’ancien régime. L’Etat ne peut pas en même temps imaginer ces réformes, en
débattre et les mettre en œuvre.

Ensuite, et à partir du moment où il y a une multitude de partis politiques,
ceux-ci ont besoin de s’inspirer d’expériences extérieures et d’écouter des
personnes qui réfléchissent à la réalité tunisienne. Les think tanks sont en
quelque sorte des boîtes à idées.

La deuxième vocation d’un think tank, telle qu’elle est pratiquée à l’étranger,
c’est d’établir des ponts avec des think tanks et des universités étrangers.
Car, lorsqu’on a à mettre en place une réforme, il est bon de voir ce qui a été
fait ailleurs, de voir ce qu’en pensent les gens de l’université tunisienne.

Or, ces liens manquent aujourd’hui en Tunisie. Et les think tanks peuvent
constituer des plateformes pour lier ces différents acteurs qui ont un rôle à
jouer dans l’imagination et l’implémentation des réformes.

Il y a aujourd’hui cinq ou six projets de think tanks –peut-être qu’il y en aura
une dizaine- et c’est bon, car il faut qu’il y ait une vraie compétition entre
eux. C’est fondamental. Il ne faut pas qu’il y ait un seul endroit où l’on
réfléchit. Il en faut des indépendants comme entendons l’être. L’API va être lié
à un certain nombre d’universités américaines, mais également européennes. Il y
en aura peut-être d’autres liées à d’autres régions du monde.

Concrètement, que va faire l’API?

Nous avons l’ambition de devenir un centre de réflexion pour une zone plus large
que la Tunisie, peut-être un des plus importants think tanks du Maghreb. Dans
l’immédiat, nous allons traiter un certain nombre de sujets. Nous allons
produire des études, et organiser des débats.

Le premier sujet que nous allons traiter est celui de la justice
transitionnelle. Pour cela, je me suis rendu récemment en Allemagne pour prendre
connaissance de ce qui y a été fait pour la réconciliation entre les Allemands
de l’Est, après la chute du Mur de Berlin. L’objectif était de voir ce qu’on
peut faire, lorsqu’une société, après avoir été déchirée par des tensions
pendant des années, se retrouve du jour au lendemain face à son avenir mais
devant également assumer son passé.

Nous avons pris contact avec un expert ayant travaillé sur la réconciliation
allemande, un autre sur la transition en l’Afrique du Sud, sur la réconciliation
au Maroc. Nous avons donc des cas de réussite et de moindre réussite. Et dans
les uns et dans les autres, il y a des choses à retenir. Nous allons bientôt
commencer à produire des papiers et à organiser des tables rondes à ce sujet et
libre ensuite aux partis politiques de s’en inspirer ou pas, de décider si c’est
applicable ou pas, si c’est prioritaire ou pas pour nous.

Qui sont vos partenaires dans ce projet?

Nous avons mis sur pied un comité de conseillers intégrant des personnalités du
monde universitaire, nous avons des professeurs de Harvard et de Yale, de
Science Po et de l’IRIS en France, du Bahreïn, du Maroc, de l’Egypte. Nous
serons bientôt une vingtaine de personnes.

Comment va être financé l’API?

D’abord, nous partons sur un principe de transparence totale: on pourra sur
notre site Internet connaître toutes nos sources de financement. Des tentatives
de levée de fonds sont en cours, en Tunisie et à l’étranger. Nous ne pouvons pas
encore donner de noms de bailleurs, parce que les accords n’ont pas encore été
conclus.

Sur le plan local, il y aura des privés. A l’échelle internationale nous allons
essayer de lever des fonds en
Union européenne et aux Etats-Unis, auprès des
fondations américaines. A chaque fois, nous lèverons des fonds pour un sujet
déterminé. Par exemple, pour traiter la question de la clean energy, nous
approchons les organismes qui l’ont inscrit à leur programme.

Aujourd’hui, il y a un énorme potentiel pour la société civile en Tunisie afin
de recevoir des fonds de l’étranger. Nous avons vécu de nombreuses années en
refusant de relier la société civile tunisienne à la société civile globale et
c’était une erreur monumentale. Aujourd’hui, nous n’avons plus aucun complexe.
L’important c’est d’être transparent.