«Il est impératif pour l’économie tunisienne de revoir son développement, pour atteindre la convergence et éliminer les disparités», a indiqué Azzam Mahjoub, économiste et expert auprès d’organismes nationaux et internationaux, dans un entretien accordé à l’agence Tunis Afrique Presse (TAP).
L’une des raisons des carences de développement humain dans le pays résiderait, entre autres, dans le taux d’analphabétisme des adultes estimé à 18% à l’échelle nationale. Ce taux serait double et même plus, dans les régions rurales.
Le citoyen est aujourd’hui appelé à participer au processus de développement, qui ne peut être décidé d’en haut par un responsable résidant à Tunis, pour des régions où il n’y a jamais mis les pieds. Il faut, en outre, se préoccuper des disparités régionales sur les questions de développement majeures.
Les pouvoirs publics ainsi que les régions et la société civile doivent, selon M. Mahjoub, s’atteler à l’amélioration de toutes les composantes de l’indicateur de développement (santé, éducation, emploi et revenu) outre la révision de tous les filets sociaux.
L’économie doit être au service du citoyen et de l’équité. La croissance n’est pas une fin en soi, mais un moyen permettant d’aller vers l’essentiel, en l’occurrence le bien-être de l’être humain. Il ne s’agit pas en la matière de remettre en cause le modèle de développement, mais à l’avenir, on aura de grands débats sur ce modèle. Il faut concevoir le modèle de développement que nous voulons pour le pays, sur la base d’un compromis national.
Il faudrait commencer par faire en sorte que l’intérieur rattrape le littoral sur plusieurs indicateurs (infrastructure routière, services de santé..) dans un délai raisonnable ne dépassant pas les 10 années.
La convergence doit également se faire au niveau des relations de la Tunisie avec l’UE, pour que le Sud puisse rattraper le Nord. C’est ce qui s’est passé pour les Portugais et les Espagnols, qui ont réussi à rattraper les autres pays européens.
Pas de respect des droits économiques sans participation à l’exercice du pouvoir
La participation à l‘exercice du pouvoir est importante car il est difficile de concevoir le respect des droits économiques et sociaux fondamentaux sans le principe de démocratie.
Le soulèvement populaire s’est fait, entre autres, contre une corruption qui s’est systématisée au cours des dernières années. La prolifération de cette pratique passe en fait par trois stades. Au départ, la corruption est épisodique. Elle devient, ensuite, systématique puis systémique quand l’ensemble de l’édifice politique, économique, social et institutionnel est dévoyé et miné par des pratiques de corruption, un terme désigne également le clientélisme et les situations de rente.
En Tunisie, nous avions un système économique «pseudo-libéral». Il était, en fait, perverti par une corruption systémique, d’ou la difficulté aujourd’hui de reconstruire. Nous ne pouvons pas parler de reconstruire l’économie sans prendre en compte tout l’édifice politique, social et institutionnel. La question centrale qui se pose actuellement est la suivante: Comment peut-on aller véritablement vers un système où la transparence est la règle, l’Etat de droit, effectif et la justice indépendante? Le monde des affaires reste perverti par la corruption et la compromission dans le cadre d’un système quasi mafieux.
Ce qui est un peu rassurant est cependant que les fondamentaux de l’économie (inflation, déficit budgétaire, endettement et opérations courantes), ne sont pas au rouge mais plutôt à l’orange. La situation actuelle est tributaire de la relative stabilité du pouvoir provisoire.
A l’avenir, la Tunisie sera même capable d’avoir des croissances à deux chiffres si la période de transition est bien gérée et si elle parvient à un compromis historique sur son modèle de développement avec une stabilité politique et une justice indépendante.
La reconstruction de la Tunisie est possible, si nous adoptons des objectifs réalisables. Il suffit de voir la manière avec laquelle la jeunesse se déploie, pour reprendre confiance.
Assainir le climat social
«Le climat social est entre les mains des partenaires sociaux, d’où l’importance de l’esprit de compromis et de la négociation véritable», estime Azzam Mahjoub. Il s’agit d’examiner les moyens de tempérer la demande sociale dans l’étape actuelle, en tenant compte des contraintes économiques et en œuvrant à répondre aux demandes sociales urgentes, compte tenu de notre modèle économique inéquitable.
Pour résumer, une solution doit être apportée aux revendications urgentes mais l’amélioration substantielle du pouvoir d’achat doit être ajournée et tempérée, en attendant la création des conditions d’une véritable reprise. Il revient aux partenaires sociaux d’assumer leur responsabilité historique, laquelle est fondamentale pour la gestion du court terme. A moyen terme, il faut engager de véritables négociations et parvenir à de véritables compromis, auxquels la Tunisie n’est jamais parvenue.
Les hommes d’affaires doivent avoir en tête, à mon avis, qu’ils sont partie prenante dans la construction démocratique, et doivent, par conséquent, se remettre, eux aussi, en cause. Il faut, surtout, sortir d’un système clientéliste, pervers et corrompu. Il importe, aussi, d’avoir un climat des affaires sain et transparent, une justice indépendante et une administration non corrompue. .