Chute de l’ancien régime, insécurité, émigration clandestine, un tourisme en berne, une industrie qui piétine, tout ceci suivi par une révolution libyenne qui ne finit pas, mais aussi une conjoncture internationale morose, la Tunisie aura tout connu durant ces trois derniers mois.
La hausse des prix des produits pétroliers et alimentaires n’arrange pas trop les choses, stimulée par l’augmentation de la demande des pays émergents mais aussi par la révolte arabe.
Selon Ridha Chkoundali, professeur d’économie, la persistance de la crise libyenne renforcera encore plus cette tendance, ce pays étant l’un des principaux producteurs mondiaux de pétrole. Du coup, «des observateurs parlent de poussées de fièvre de 140 ou 150 dollars le baril», souligne-t-il, lors de la conférence organisée par le forum Averroès. Une conjoncture qui pèse lourd sur l’économie tunisienne dans cette période transitoire où les décideurs ne pouvant envisager une augmentation des prix, au risque de nuire au pouvoir d’achat des citoyens, la seule solution reste la compensation.
Mais pour M. Chkoundali, ceci alourdit encore le budget de l’Etat et aggrave le déficit budgétaire, qui se situe actuellement à -5%. Avec les perturbations de la production industrielle, le recours à l’endettement extérieur serait la seule solution envisageable puisque la Tunisie ne pourra pas, pour l’instant, opter pour un financement par un relèvement de la fiscalité ni par un financement par le marché financier et encore moins par un financement par la planche à monnaie (source d’inflation).
Des indicateurs mitigés…
La hausse des prix des produits pétroliers a également une incidence sur les prix des produits alimentaires, qui ont augmenté essentiellement grâce aux conditions météorologiques et la hausse de la demande. Selon les experts, une augmentation de 10% du prix du pétrole brut entraîne une augmentation de 2,7% de l’indice des prix alimentaires. D’où le recours aux biocarburants ayant affecté les prix des produits alimentaires, notamment le maïs, l’huile végétale et le sucre.
D’ailleurs, les simulations de la Banque mondiale ne sont pas aussi optimistes. Une hausse de 10% de l’indice des produits alimentaires pourrait précipiter 10 millions de personnes de plus dans la pauvreté. Une augmentation de 30% pourrait accroître de 34 millions le nombre de pauvres.
Pour la Tunisie, cette situation pourrait affecter l’équilibre de la balance commerciale, puisque notre pays importe certains produits céréaliers tels que le blé (1,4 million de tonnes en 2009, soit 47% de son utilisation intérieure). Pour M. Chkoundali, «avec l’investissement dans la réduction des coûts logistiques liés à la chaîne d’importation alimentaire et l’utilisation des outils de gestion des risques, il est possible de réduire considérablement l’instabilité des prix alimentaires et d’assurer le bon approvisionnement d’aliments essentiels».
Pas d’embellie non plus du côté des indicateurs sectoriels même les exportations industrielles ont repris (+10%), s’expliquant par l’écoulement des stocks qui n’ont pas pu être exportés en décembre dernier.
Quant au taux de change, il est resté stable, l’inflation n’a augmenté que de 3% contre 5% durant la même période en 2010, mais le taux de croissance sera évidemment affecté. On prévoit un taux de 0 à 1%. M. Chkoudali se montre optimiste. «Si le plan de relance économique porte ses fruits, ce taux sera de 1 à 2%».
Transparence et bonne gouvernance…
La mise en place d’une culture de transparence et d’un système de bonne gouvernance c’est seule garantie pour un retour de l’investissement, estime Nôman Fehri, directeur général de la société «Istichara». «Seule une visibilité à moyen et à long termes pourra stimuler le retour des investisseurs. Nous avons gagné en transparence, mais l’instauration d’une bonne gouvernance est encore plus compliquée. Il y a encore de l’incertitude concernant la Constituante. Les investisseurs doivent être rassurés sur la continuité de la politique de l’investissement. L’UTICA a aussi une grande responsabilité pour planifier la période de relance après la Constituante. Il faut savoir que c’est seulement en maintenant le même système économique qu’on peut sortir de cette situation critique et évoluer».
Maher Kallel, DG de Poulina, propose des schémas plus concrets pour atteindre l’objectif de la transparence en investissant dans les TIC. A court terme, il s’agit de mettre en place un système de suivi de toutes les plaintes à base de centres de services citoyens, en calquant le modèle des centres d’appels, un système de gestion du foncier et des portails citoyens. A moyen terme, il faudra effectuer la refonte de tout le système d’information du gouvernement, la mise en place de l’«open source government», permettant aux citoyens de participer à la politique gouvernementale. La 3ème proposition de Kallel consiste à redonner confiance aux citoyens plutôt que de contrôler en dépassant la culture sécuritaire.
Concernant le secteur bancaire, il existe un problème structurel dans le portefeuille investissement. Mahfoudh Barouni, expert dans le domaine, en est convaincu. Le taux des créances accrochées reste encore élevé (20%) et même les estimations les plus optimistes tablent sur 17% en 2014 alors que dans d’autres pays similaires, ce taux ne dépasse pas le 1,4% au Chili, 2,7% au Pérou et 5,5% au Maroc.
Il y a aussi un problème de capitalisation boursière qui dépasse 23% par rapport au PIB (107% en Egypte et 100% au Maroc). Le problème de financement par le marché boursier est persistant. Selon M. Barouni, les entreprises choisissent la solution la plus facile en optant pour les crédits bancaires alors que le marché financier présente de réelles opportunités d’investissement.