Le décret-loi du 13 mars 2011, portant sur la confiscation des biens de la famille du président déchu et de son entourage, une première liste de 115 personnes concernées, continue à faire couler beaucoup d’encre et à susciter la polémique entre partisans, «défenseurs de la légitimité révolutionnaire», et opposants, au rang desquels des juristes purs et durs.
Un tout récent colloque sur «les défis économiques en Tunisie après la révolution», organisé à Tunis le samedi 23 avril 2011, par le Forum Maghrébin Ibn Rochd et l’Association pour une nouvelle République (Nour-r), a tenté de jeter la lumière sur cette législation controversée.
D’abord, rappelons que la grande famille de l’ancien président possède 114 entreprises, détient des participations dans 200 entreprises, traite avec 2.000 entreprises (fournisseurs, sous-traitants…) et emploie des milliers de personnes. Trois scénarios sont proposés pour régler la situation de ces entreprises: nationalisation, privatisation, introduction partielle ou totale en Bourse.
Pour les auteurs-rédacteurs du décret, la confiscation de biens de dictatures déchues n’est pas une première dans l’Histoire ni de l’humanité ni de la Tunisie contemporaine. Ainsi, lors de la révolution française, les possessions de l’Eglise et les domaines de la couronne ont été vendues pour résoudre la crise financière qui avait généré la révolution. En Tunisie, les biens du Bey ont été vendus, en 1957, et ont servi à payer la dette du pays, à l’époque. Même les Etats-Unis d’Amérique ont recouru à la confiscation de biens privés appartenant à des personnes physiques et morales opposées à la guerre contre l’Irak.
Quant aux opposants, pour la plupart des juristes, ils estiment que la confiscation ou non des biens relève exclusivement des attributions de la justice et non de l’exécutif provisoire. Ils relèvent, en outre, que le décret se distingue surtout par son non respect des règles d’équité et de justice. Pour eux, cette législation comporte plusieurs incohérences qui risquent de porter un réel préjudice à la crédibilité de la Tunisie et de sa révolution auprès de l’opinion publique internationale.
Et pour cause: le décret-loi ne respecte pas la sacralité de la propriété privée dans la mesure où il ne distingue pas entre les biens acquis légitimement et ceux obtenus de manière illégale. Le décret-loi ne prévoit ni la présomption d’innocence ni la possibilité de recours. Et enfin, il se permet d’inventer un nouveau délit «le crime par parenté et par alliance».
Autre incohérence d’ordre économique relevée, au cours de ce forum par Hassen Zargouni: la confiscation de ces biens et leur intégration dans le domaine public va ériger l’Etat en principal actionnaire de plusieurs secteurs. A titre indicatif, en additionnant les parts publiques de l’Etat après confiscation dans la filière des télécommunications (65% dans Tunisie Télécom, 51% dans Orange et 25% dans Tunisiana), l’Etat se retrouve en position d’influence ou de contrôle chez tous les opérateurs publiques ou privés.
La situation serait la même dans le secteur automobile au cas où l’Etat deviendrait propriétaire des concessionnaires automobiles Ennakl, Peugeot, City-car, Le Moteur, Ford, Land Rover…
Pour résoudre cette problématique de confiscation des biens de la grande famille du président déchu, Hassen Zargouni a proposé de dédier les recettes de ces biens au développement régional et à la création, à cette fin, d’une agence de développement régional qui aurait à gérer ces fonds.