Sans transition économique, la transition démocratique pourrait tourner court. C’est, en substance, le message véhiculé par l’ASECTU (Association des économistes tunisiens), lors de la conférence de presse tenue mardi 26 avril 2011, dans un hôtel de la capitale animée par les professeurs Mohamed Haddar, président de l’Association, et Ridha Gouia, V/P. Il faut reconnaître aux dirigeants de l’ASECTU d’avoir un sens du timing, car l’Association est la dernière à s’exprimer mais elle le fait à un moment opportun.
En effet, toutes les voies qui ânonnaient jusque-là pour appeler au redémarrage de l’appareil économique se sont tues faute d’exhiber une argumentation autre que celle du sens commun. L’ASECTU, auréolée de son crédit de société savante, entre dans la danse et organise, pour la circonstance, un séminaire international les 2 et 3 mai prochain à la Cité des sciences, précisément sur le thème de la transition économique. L’idée force est que le redémarrage de l’économie ne se fera pas en s’appuyant sur les recettes traditionnelles. Il faudra trouver un nouveau paradigme de croissance.
Des experts de pays qui ont connu des circonstances similaires à notre contexte post-révolutionnaire (Portugal, Roumanie, Géorgie, en Europe) et d’Amérique Latine s’exprimeront à cette occasion. L’intérêt est qu’ils exposeront les mécanismes de relance économique éprouvés par leurs pays respectifs et qui pourraient être implémentés chez nous.
Rebâtir l’appareil statistique
La Révolution est née de la crise économique et de la panne du système à créer de l’emploi. Le mix est devenu explosif: la création de richesses était au ralenti et la répartition de ces richesses se faisait de manière irrationnelle entre les classes et les régions. La chose était perceptible, mais elle ne ressortait pas des statistiques car, malgré un appareil statistique fiable, les chiffres étaient instrumentalisés au service de la propagande et non de la prospective économique. Les économistes se plaignent de la rétention de l’output statistique.
L’enquête de la consommation de 2005 et le recensement de la population de 2000 n’étaient pas diffusés sans quoi, se plaignent les économistes, une cartographie précise de la pauvreté aurait été mise au point par eux et aurait pu servir à cibler les interventions économiques.
L’ennui est que le gouvernement provisoire n’a pas vu, lui non plus, l’urgence d’une telle cartographie pour l’emploi, la pauvreté, enfin tous les indicateurs du développement humain. C’est, soutient Mohamed Haddar, un service «GPRS» indispensable qui aurait servi à mieux allouer les 1.480 MDT de dinars du plan d’urgence en faveur des régions. Et par delà des autres ressources qu’on pourrait faire sortir de terre, ici et là en recyclant, par exemple, une partie de la dette, celle émise par les Etats amis, dans les programmes de soutien au développement régional.
Il est donc nécessaire de travailler, selon les économistes, à reconstruire tout l’appareil statistique. D’ailleurs l’ASECTU s’y mettra tout de suite car elle entend procéder par ses propres moyens à un premier travail d’investigation en procédant à un sondage d’opinion, selon des règles scientifiques strictes, gage de fiabilité.
L’économie, à l’heure de la refondation
Le chantier statistique est à intégrer à un vaste chantier de refondation économique, estime Mohamed Haddar. Il reste sceptique sur les retombées des mesures du programme de relance du gouvernement provisoire, parfois inspiré de recettes soufflées à distance par d’anciens responsables de l’ancien régime, non qu’ils soient incompétents, mais du fait que le schéma de croissance dans lequel ils s’inscrivent a touché à ses limites. Là encore, le besoin de rupture se fait sentir. Ce sujet sera abordé lors du colloque du 2 et 3 mai prochain et de celui qui suivra du 6 au 8 juin prochain.
Le modèle de développement de ces 20 dernières années ne peut pas absorber les diplômés du supérieur parce qu’il est prisonnier de son choix fondamental d’emploi des «petites mains». C’est pour cela que les économistes appellent à une refondation du paradigme de la planification tunisienne. Il est nécessaire de passer à des paliers de croissance basés sur des paliers supérieurs de valeur ajoutée.
Les exportations industrielles du pays ont quadruplé en 20 ans et les contraintes restent figées. Le constat est juste mais quid des solutions? On comprend que Mohamed Haddar ne veuille pas s’avancer car il souhaite que la primeur de ces sujets soit réservée aux actes du Colloque. Et pas seulement! Le président de l’ASECTU entend aussi, en bon pédagogue, convier les partis politiques à s’exprimer sur l’ensemble de ces questions.
Acteur de plein droit de la société civile
L’ASECTU entend sermonner les formations politiques, du moins les formations les plus structurées les invitant à présenter leurs programmes économiques. Les économistes se font fort de les examiner à la loupe, et ce publiquement. C’est une initiative qui aura un grand retentissement. Ce sera un test de vérité et de sérieux pour les partis politiques à la veille des élections de la Constituante.
L’économie reste bien l’enjeu majeur de la Révolution et notre devenir se joue sur ce versant des réalités. Mais pour l’instant, l’ASECTU a la partie belle car elle apporte surtout des critiques. On attend ses propres propositions. Et peut-être même une part d’autocritique. Mohamed Haddar soutient que la formation universitaire, souvent décriée pour son inadaptation aux besoins du marché du travail, n’est pas en cause car le système ne crée pas assez de débouchés. Tout cela mérité débat. Nous mettons par conséquent l’ASECTU au défi de publier un livre blanc.