étenu accompagné par des gardiens, le 17 janvier 2002 à Guantanmo (Photo : Roberto Schmidt) |
[28/04/2011 08:36:16] WASHINGTON (AFP) Preuves aléatoires, dénonciations entre détenus, amateurisme des interrogatoires: les révélations de WikiLeaks sur Guantanamo éclairent encore un peu plus les raisons juridiques qui ont contraint Barack Obama à faire machine arrière sur la fermeture de la prison.
Les dossiers personnels de chacun des 779 prisonniers passés par la prison militaire américaine à Cuba offrent une vision assez complète de ce que la nouvelle administration a trouvé à son arrivée début 2009: les “pires parmi les pires terroristes” que l’administration Bush proclamait vouloir enfermer à Guantanamo n’étaient bien souvent que de petits poissons voire de parfaits innocents.
Pour l’organisation de défense des libertés civiles Aclu, ces multiples erreurs sont “le fruit du péché originel qui a vu l’Etat de droit voler en éclats dès l’ouverture de Guantanamo” en 2002.
Si quelques dizaines de détenus sont passibles de procès pour terrorisme ou considérés comme des prisonniers de guerre détenus sans procès, la plupart étaient “des adolescents, des vieillards édentés ou des étrangers capturés en Afghanistan parce qu’ils portaient une montre Casio similaire à celle utilisée par Al-Qaïda dans un camp d’entraînement”, rappelle Morris Davis, ancien procureur des tribunaux de Guantanamo qui a claqué la porte en 2008, dans la revue spécialisée Foreign Policy.
Outre les erreurs qui ont mené à des années de détention de parfaits innocents, ou à la libération anticipée d’hommes qui se sont par la suite livrés à des activités terroristes, les experts estiment qu’un certain “amateurisme” s’est installé très tôt, qui a étouffé dans l’oeuf tout espoir que justice soit jamais rendue.
“Ces documents montrent le caractère amateur des interrogatoires” des détenus après leur arrestation, explique à l’AFP Eugene Fidell, spécialiste de justice militaire.
Lorsqu’il était trop compliqué de s’appuyer entièrement sur des preuves matérielles contre ces dizaines d’hommes arrêtés au petit bonheur en Afghanistan et au Pakistan dans la foulée des attentats du 11-Septembre, les Américains s’en remettaient à ce que leur avouaient les suspects pendant les interrogatoires.
Pour leur arracher des renseignements, nombre de détenus ont été maltraités et leurs déclarations sont donc aujourd’hui irrecevables devant un tribunal.
“L’autre problème est que très peu ont été réellement capturés sur le champ de bataille dans cette +guerre contre le terrorisme+” sans ligne de front ni combats identifiés, ajoute David Glazier, professeur à la Loyola School of law.
Donc, déclare-t-il à l’AFP, si on veut les traiter comme des prisonniers de guerre et les enfermer sans procès, comme l’a fait l’administration Bush, “il va falloir fournir des éléments sur leur capture”.
Aujourd’hui que l’administration Obama a hérité de cette situation, “c’est trop tard, le mal est fait”, juge M. Fidell. “Elle fait ce qu’elle peut, elle réexamine précisément chaque situation”, observe-t-il. Mais elle ne peut inventer des preuves matérielles là où il n’y en a pas ni présenter à un tribunal des éléments à charge recueillis sous la torture.
Faute de trouver une solution idéale, l’administration Obama a prévu de garder enfermés, sans procès, une cinquantaine des 172 détenus encore à Guantanamo, malgré les protestations sur sa gauche. Une vingtaine seulement devraient être jugés selon le Washington Post, alors que le chiffre officiel est de 33 passibles des tribunaux militaires d’exception de Guantanamo.
Et les Américains devront s’y résoudre, déclare Benjamin Wittes de la Brookings Institution à l’AFP, “ce n’est pas une science exacte, nous allons garder en détention des gens qui ne devraient pas l’être et nous allons libérer des gens que nous aurions dû garder en détention”.