Est-ce qu’une femme qui porte le voile -par conviction religieuse- est forcément une femme «non» émancipée? Est-ce qu’une femme doit avoir les cheveux découverts, obligatoirement, pour s’inscrire sous la bannière de l’émancipation? Et puis, qu’est-ce que l’émancipation et le féminisme au fond? Vaste et épineux sujet, mais Parlons-en…
Tout le monde a en tête ces images de Bourguiba, qui découvre la tête d’une femme et lui enlève le sefséri… quel geste formidable. Et quel était le crédit populaire incommensurable dont jouissait cet homme, pour faire un geste pareil, dans un pays arabe et musulman, à l’aube de son indépendance, au beau milieu de la foule, et devant une caméra télé!
Ce qui est certain, c’est que nous Tunisiennes, avons une longueur d’avance et une chance inouïe, surtout par rapport aux autres pays arabes. Le geste de Bourguiba a été essentiel et fondateur même, dans l’histoire de l’émancipation de la femme tunisienne. Mais je pense qu’il a été compris différemment, par les uns et les autres, pour ne pas dire instrumentalisé.
Comment comprendre le geste de Bourguiba? Quel était la philosophie de cet homme d’Etat? Et la question du voile alors… est-on rétrograde… parce qu’on est voilée? Et puis, où est la limite… si limite il y a? Que penser du niqab dans ce cas?
C’est compliqué l’émancipation… Chacun sa lecture, chacun ses convictions.
A mon avis, l’émancipation de la femme, c’est la possibilité de choisir. Une femme a le droit de porter ce qu’elle veut, à la fin. Le geste de Bourguiba était très symbolique dans le sens où il libérait la femme de ses carcans, qu’il lui donnait la possibilité de voler de ses ailes, d’exister dans le monde des hommes, et comme un homme. J’entends, avec les mêmes chances d’un homme.
L’émancipation, à la Bourguibienne, c’est l’égalité des chances. Moi femme, j’ai les mêmes droits ou les mêmes chances, pour avancer dans ma vie, que celles données à un homme. La tête découverte, les cheveux à l’air, c’est un peu comme pour dire “voilà maintenant, comme un homme, j’ai la possibilité de sortir de la maison, d’avoir une vie sociale et d’entrer dans la sphère publique. Maintenant comme un homme, j’ai la possibilité d’accéder à la connaissance, d’être émancipée (et c’est là le vrai sens du terme), d’obtenir un diplôme, d’avoir une place dans le monde du travail, de gagner ma vie, et d’être indépendante économiquement. Parce que l’indépendance commence en effet peut-être là“.
Mais une femme a bien le droit d’être voilée, et être féministe ne signifie pas renier cette liberté à la femme. Parce que, oui c’est une liberté. Ceci dit, le geste de Bourguiba a été et reste fondateur, pour que dorénavant, la femme ne soit pas contrainte de se voiler, se cacher les cheveux, ou les jambes. Difficile de faire passer cette idée dans les milieux dits féministes. Je sais. Mais oui, c’est une forme de liberté, la différence. Une société en bonne santé est une société de la diversité. Et la diversité a effectivement été rendue possible, par le fameux geste de Bourguiba.
Autant, la femme doit être aussi libre de sa tenue que l’homme… autant, enlever son voile, son foulard, ou son sefséri, n’est pas, à mon avis, condition sine qua none de l’émancipation de la femme.
Le grand danger, c’est celui d’une société uniforme et homogénéisée… c’est-à-dire où tout le monde s’habille à peu près de la même manière. Toutes voilées, ou toutes en bretelles, c’est ça qui me ferait peur…
Le vêtement reflète des normes collectives, en termes de rapport au corps, en termes de pudeur, mais surtout en termes de pouvoir. Ce que voulait Bourguiba, à mon avis, c’est briser l’inégalité au niveau de ces normes, inégalité qui faisait que tout le corps de la femme était interdit à la sphère publique, permis au mari. Autrement, que tout le corps de la femme appartient à l’homme.
Emancipation voudrait alors dire que le corps de la femme appartient à la femme, et qu’elle est libre de montrer ou de cacher ce qu’elle veut. Le corps de la femme lui appartient à elle, et non pas à la société et donc au tuteur masculin…
Un jour, j’ai été malade et j’ai mis un foulard sur la tête, et la réaction des collègues ne se fit pas attendre…!
La femme de Kennedy mettait un foulard sur la tête (et des lunettes de soleil)! Et c’était signe de glamour et de grande élégance! Pourquoi ce droit à la femme de Kennedy, et aux top modèles, et pas à nous-mêmes… qui de plus est, portons une culture et une religion musulmanes…?!