«Sans évidement généraliser, nous pouvons dire que c’est la quasi débandade: des
employés qui accumulent les retards, ne pointent ni à l’arrivée ni au départ,
lorsqu’ils ne s’absentent pendant des heures voire des journées entières»,
assure un employé travaillant dans un grand ministère.
«Inek Alla Al Idaraa», cette formule qui pourrait être traduite comme suit:
«Prends soin de l’Administration» est-elle devenue, par les temps qui courent,
le leitmotiv de certains employés du service public tunisien?
Des Tunisiens se souviennent, en effet, peut-être encore, d’un épisode de la
série télévisée «Ma Binatna» de Mongi El Ouni et Noureddine Ben Ayed, diffusée
dans les années quatre-vingt-dix, qui portait bien le titre de «Inek Alla Al
Idaraa» et dans laquelle on voyait des employés quitter leurs bureaux avec armes
et bagages. Cette série ramadanesque avait fait sensation en mettant en exergue
quelques travers de la société tunisienne.
«Sans évidement généraliser, assure un employé travaillant dans un grand
ministère, nous pouvons dire que c’est la quasi débandade: des employés qui
accumulent les retards, ne pointent ni à l’arrivée ni au départ, lorsqu’ils ne
s’absentent pendant des heures voire des journées entières».
Des employés ont été empêchés de rejoindre leurs bureaux
Certes, les sit-in et les grèves ne sont pas là pour faciliter les choses. Des
employés ont été empêchés de rejoindre leurs bureaux pendant des journées
entières «lorsqu’ils n’ont pas été menacés voire agressés», assure notre
interlocuteur.
Reste que des employés en ont profité pour faire l’«école buissonnière». A ce
propos, et pour se rendre compte de cette évidence, il ne faut pas s’attarder,
en visitant certaines administrations, sur le «front office». En poussant la
porte d’une administration –même s’il ne faut pas encore généraliser-, le
spectacle est souvent le même qu’autrefois.
«Là ou il y a accueil du public, le personnel est aux postes. Chacun vaque à ses
occupations habituelles. Mais si vous vous hasardez dans les étages (le back
office), vous pouvez être gagné par la surprise: des bureaux vides et un
personnel absent».
Inutile de préciser que vous trouverez toujours quelqu’un pour vous signifier
que l’employé «n’est pas trop loin» ou qu’il est «autorisé» ou encore qu’«il a
été rappelé par son supérieur hiérarchique», s’il n’est pas «en déplacement». Et
inutile d’insister! On vous expliquera par tous les moyens «qu’il est difficile
de le voir à son bureau avant l’heure de fermeture».
Tous ne se sont pas laissé faire
Mais lorsque vous essayez de gratter, ne serait-ce que légèrement, le vernis, il
y a ceux qui ne vous cachent pas que certains employés ont «pris de nouvelles
habitudes». Ainsi, dans une administration, située à Tunis, les secrétaires se
sont «entendues» pour se «relayer»: l’une venant seulement les matinées, l’autre
seulement les après-midis.
Ailleurs, la majorité des employés partent deux heures avant l’heure de
fermeture. Et on vous expliquera que vu «le climat d’insécurité dans le pays» ou
encore «la défaillance des transports publics», il n’est pas possible de faire
autrement.
Dans un établissement public, des employés ont même exprimé le vœu de travailler
au rythme des premiers jours de la Révolution du 14 janvier 2011. C’est-à-dire
de 9 heures jusqu’à 16 heures.
Et les responsables dans tout cela? Tous ne se sont pas laissé faire. On évoque
le cas de ce directeur général qui a réuni son personnel pour le sensibiliser
sur les retards et les absences. Avant de sévir par voie de questionnaires. Et
tout est très vite rentré dans l’ordre.
D’autres continuent à se taire. D’autant plus qu’ils savent que «leur hiérarchie
fait la sourde oreille» lorsqu’elle ne leur a pas conseillé d’agir mais de ne
pas faire, par ces temps difficiles, de vagues!». L’un d’entre eux, opérant dans
un secteur «mouvementé» et «sensible», s’est fait conseiller par son supérieur
de ne pas trop s’attarder sur la question. En expliquant que «tout rentrera
bientôt dans l’ordre».
Et en précisant qu’«il ne faut pas ajouter de l’huile sur le feu»: que l’on ne
peut, à la fois, «s’attaquer aux maux d’hier et à ceux que l’on aura provoqué ne
serait-ce parce que l’on veut logiquement bien faire!». Faut-il l’écouter?