Trois raisons au moins ont, sans doute, facilité la propagation de la rumeur sur la prétendue fuite d’Imed Trabelsi. La rumeur n’était pas innocente. Et elle s’est nourrie, pour se développer, d’un contexte favorable.
Trois départements ministériels, Défense, Justice et Intérieur, ont démenti, jeudi 28 avril 2011, l’information qui a circulé la veille concernant la prétendue fuite d’Imed Trabelsi, neveu de Leïla Trabelsi, l’épouse du président déchu, Ben Ali, de la caserne d’El Aouina. C’est dire l’importance donnée par ces trois ministères –de souveraineté- à la rumeur visant à «semer le trouble et le désordre dans le pays et à manipuler l’opinion publique de manière à déstabiliser la situation sécuritaire dans le pays».
Le ministère de l’Intérieur est revenu le jour même à la charge pour dénoncer «”certaines parties” qui ne souhaitent pas que la Tunisie recouvre sa stabilité sécuritaire, sociale et économique». En précisant que «ces parties utilisent tous les moyens pour semer le désordre et l’insécurité et pour entraver le processus de transition démocratique dans le pays».
Il ne s’agit pas, du reste, de la première rumeur qui a circulé dans le pays depuis l’avènement de la Révolution du 14 janvier. Loin s’en faut! Les rumeurs les plus folles ont, en effet, circulé.
Déjà aux premières heures de la Révolution, il a été annoncé qu’Imed Trabelsi a été poignardé à mort à sa fuite. Les caméras de la télévision montreront son arrestation quelques jours plus tard.
Le 24 janvier 2011, on apprenait que le président déchu avait quitté le pays recouvert d’un voile intégral! Information sans fondement: tous les Tunisiens ont suivi la fuite, minute par minute, de Ben Ali en Arabie Saoudite; fuite rapportée par tous les médias.
«Le plus vieux média du monde»
Démentie la rumeur sur le kidnapping d’un élève, le 31 janvier 2011, à l’Ariana, dans «une Mercédès noire». Le soir même, on apprenait que cet élève avait fait –tout simplement- une fugue.
Le 2 février 2011, des rumeurs avaient circulé sur un prétendu incendie de la synagogue d’Al Hamma, dans le sud tunisien. Information démentie par les membres de la communauté juive de Tunisie.
On avait annoncé, fin mars 2011, une tentative d’assassinat du Premier ministre de transition, Béji Caïd Essebsi. Elle a été également démentie.
S’il est vrai que la rumeur, considérée comme «le plus vieux média du monde», peut naître, aux dires de certains spécialistes, «spontanément», elle n’en est pas moins un vecteur important de communication «organisée». Il est, en effet, admis qu’elle sert des objectifs et qu’elle n’est que rarement, aujourd’hui, le fruit d’une «génération spontanée».
En fait, il faut toujours se poser la question suivante: à qui profite le crime? Même si elle est démentie, elle sert un crédo malsain développé par le chef de la propagande de Hitler, Goebells, qui conseillait toujours: «Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose!».
Mais comment peut-on croire à une rumeur? La question a nourri beaucoup de réflexions de la part de spécialistes, comme le Français Jean-Noël Kapferer*, qui présentent quelques arguments.
D’abord, la rumeur se nourrit de l’absence d’informations. A partir du moment où on tait une information, la rumeur s’installe. Celle-ci enfle même lorsque l’information existe, mais qu’elle ne lève pas le voile sur tout ce que le citoyen croit être légitimement en droit de savoir. Ou lorsque ce même citoyen pense ne pas être convaincu. La rumeur est, à ce niveau, comme la mythologie et la légende, elle explique ce que la science est incapable de décrypter.
Un buzz sur Facebook
Inutile de préciser que la crédibilité des médias est toujours pour quelque chose dans la propagation du «plus vieux média du monde». Chaque fois que les citoyens ne font pas confiance en leurs médias, la rumeur a de beaux jours devant elle. Force est de constater que même si les choses ont changé, certains citoyens continuent à avoir de «vieux reflexes» à l’égard des médias nationaux. Il faut dire que les médias tunisiens ne sont libres que depuis un peu plus de trois mois.
Ensuite, elle est fabriquée pour convaincre de sa véracité. Elle se nourrit, de ce fait, d’un contexte et s’appuie sur un ensemble de quasi indices qui la rendent plausible.
Ainsi, dans le cas de la prétendue fuite d’Imed Trabelsi, la rumeur s’est appuyée, sans doute, sur au moins trois éléments. Premièrement, l’important mouvement des forces de l’ordre observé, dans la nuit du 27 au 28 avril 2011, à Tunis et banlieue, avec un déploiement d’un hélicoptère survolant des maisons à basse altitude.
Deuxièmement: l’attitude jugée «sereine» d’Imed Trabelsi, le jour de sa comparution, le 20 avril 2011, devant le juge d’instruction. Paré de ses plus beaux atours: il est apparu rasé de près, en costume cravate, et avait manifesté ce qui a paru à plus d’un comme un comportement arrogant.
Troisièmement: l’insécurité dans le pays qui ouvre la voie à tous les désordres. Des fuites de prisonniers, les Tunisiens en voient tous les jours. Ou presque. Lorsque l’insécurité s’installe, tout le monde peut faire tout et son contraire.
Faut-il ajouter, peut-être, aussi, qu’Imed Trabelsi semble cristalliser une certaine haine de la part du grand public voire un dégoût vu ses écarts de conduite, pour ne pas dire plus, du reste rapportés par les médias ou encore les réseaux sociaux à son sujet. Ainsi que ses dépassements graves.
Les spécialistes auront toute la latitude d’étudier cet épisode de la rumeur dans la Tunisie post-révolutionnaire. Mais une chose demeure sûre: les réseaux sociaux et notamment Facebook ont créé, comme ailleurs, un buzz qui a favorisé une plus grande propagation de la rumeur.