Tunisie : Kamel Ayadi et Chedly Ayari créent un think tank pour le développement du nord-ouest

Par : Tallel

kamel-ayad-1.jpgDepuis quelque temps, la Tunisie compte un nouveau think tank, à savoir le “Centre de Réflexion Stratégique pour le Développement du Nord-ouest“, dont le fondateur est l’ingénieur Kamel Ayadi, président d’honneur de la FMOI (Organisation mondiale des ingénieurs). Comme son nom l’indique, ce think tank vise à mobiliser les compétences des quatre gouvernorats qui composent cette région: Béja, Siliana, Jendouba et Le Kef. Objectif déclaré: rassembler des compétences afin qu’elles s’intéressent au sort de cette région et de contribuer à son développement par la réflexion et par le déploiement d’actions sur le terrain.

Pour M. Ayadi, l’idée consiste en la création de nouvelles synergies en faisant associer les ressources humaines dont regorgent la région avec son potentiel naturel qui constitue l’un des atouts majeurs du développement du Nord-ouest, et de décliner ces synergies en projets et initiatives de développement.

Mais alors M. Ayadi, pourquoi avoir lancé cette plateforme d’ordre associatif au moment où tout le monde se rue vers la création de partis politiques? Il répond, sous forme de boutade que «c’est pour le moins surprenant –et même suspicieux- de constater que la plupart des acteurs sociaux ont opté pour la création de partis politiques, parfois sans programmes ni même une vision de la question du développement». Il estime de ce fait que ceci est loin des attentes de la société, en particulier les jeunes et les régions défavorisées qui se sont révoltés avant tout contre le chômage et la pauvreté.

Son analyse des partis politiques est sans appel et rejoint du reste beaucoup d’autres. En effet, il considère et constate que «les partis politiques offrent des espaces de débat à dominance politique. Ce débat est souvent entaché de controverse, de calculs politiques, voire parfois de dissensions et de déchirement», n’accordant qu’une place secondaire à la question économique.

Or, pour lui, «la réflexion sur le développement nécessite de l’harmonie dans les rapports et un climat serein qui ne soit pas traversé par les considérations de politique politicienne». Ce qui donc justifie la création de “sa“ plateforme associative qui offre cette sérénité. Car «la notion de dévouement trouve sa pleine expression dans la vie associative».

Poussant son analyse, le fondateur du Centre de Réflexion Stratégique pour le Développement du Nord-ouest souligne que «pour le parti politique, le citoyen est un outil d’élargissement de sa base électorale, une voix de plus». De ce point de vue, l’approche “parti politique“ est une approche intéressée, et a contrario, l’approche “associatif“ est désintéressée, puisque l’individu est une finalité et non un outil.

Il trouve «inquiétant que le débat qui anime la scène publique porte sur des questions vraiment secondaires par rapport aux préoccupations du citoyen». M. Ayadi rappelle à ce sujet que dans les pays développés, «le citoyen choisit de voter en fonction des promesses économiques et de la solidité des partis en termes de capacité de mobiliser des idées et de les décliner en programmes. En dehors de cette logique, l’engouement vers la création des partis ne peut être interprété que par l’opportunisme politique. C’est ce qui, à mon sens, explique le désintérêt des citoyens par rapport à la politique. Ceci a été démontré à travers les sondages d’opinion…».

Cependant, M. Ayadi se défend de tout «dénigrement des partis politiques, et encore moins une remise en cause généralisée de leur sincérité, loin s’en faut». Il va d’ailleurs jusqu’à dire que «c’est tout à fait légitime de créer des partis, et c’est même un bon signe, mais ceci n’empêche pas de penser que l’engouement vers la création des partis dénote d’un état esprit qui mérite d’être analysé».

De là, il fait la part des choses entre les partis politiques bien structurés et les autres qui le sont moins mais qui ont à leur tête des leaders à même de mobiliser une réflexion sur les questions du développement.

«Voilà l’analyse qui m’a conduit à prendre, ne serait-ce qu’à court terme, des distances vis-à-vis de la politique en refusant plusieurs offres de faire partie de partis politiques en vue de me consacrer à la réflexion sur le développement», affirme M. Ayadi. Et tout porte à croire qu’il n’est pas le seul à penser ainsi. D’ailleurs, «quand j’ai parlé de cela à des amis comme si Chedly Ayari, révèle-t-il, j’ai trouvé que cette analyse est partagée par plusieurs. Nous avons réussi ainsi à mobiliser parmi les meilleures compétences des quatre gouvernorats pour créer le centre».

Une région laissée pour compte!

A partir de là, nous avons demandé à notre interlocuteur le pourquoi du choix de la région nord-ouest. Sa réponse ne souffre d’aucune équivoque. «La région du Nord-ouest est riche en ressources naturelles considérables. C’est le château d’eau de la Tunisie, là où se concentre la majeure partie des eaux de surface. Elle représente aussi, avec ses ressources forestières, les poumons de la Tunisie. Elle fut jadis appelée le grenier de Rome». Pourtant, «… les indicateurs de développement de cette région sont à l’antipode de son potentiel. Ce qui a placé cette région dans une situation d’asservissement économique alors qu’elle aurait pu générer un excédent de développement par rapport à la moyenne nationale».

Et l’ingénieur de résumer la situation économique de cette partie de la Tunisie à travers un seul indicateur: c’est la capacité de rétention des populations. Ainsi, «entre 1975 et 2004, la population au niveau national a été multipliée par 1,77 alors que celle du Nord-ouest ne l’a été que de 0,8. C’est la seule région répulsive de toute la Tunisie, avec un taux de croissance démographique en baisse depuis 1975. La croissance démographique est négative et la région connaît un appauvrissement au niveau de ses ressources humaines. Ceci est un phénomène alarmant. En contrepartie, le taux de chômage est élevé et avoisine dans certaines localités les 40%, soit 3 fois la moyenne nationale».

Pour Kamel Ayadi, «ce paradoxe crée une sorte des frustrations aussi bien chez les habitants que chez les cadres de la région dont ceux qui vivent à Tunis. Ces derniers, en dépit de leur volonté de contribuer par la réflexion au développement de leur région, ont été marginalisés et n’ont pas pu aider leur région par leur savoir-faire».

Dans le même ordre d’idées, le président-fondateur du think tank indique qu’il y a eu des tentatives de création d’espace de réflexion, mais elles ont été à chaque fois avortées. «La politique du “Top-Down“, qui était de mise, ne laissait pas de place, même aux gens qui étaient proches du pouvoir, à l’opinion indépendante». Il pense qu’avec la révolution, des initiatives libres peuvent s’exprimer et se mettre en place. Voilà donc ce qui expliquerait «la mobilisation de ces compétences autour de ce projet de développement».

Composition du Centre et outils de travail

Le bureau directeur est composé de 12 membres, à raison de quatre par gouvernorat. «Nous avons réussi à mobiliser parmi les meilleures compétences dont certains ont eu la chance de diriger des entreprises publiques dans la région. Ces derniers ont une connaissance des problématiques de développement», affirme notre interlocuteur.

Pas seulement car l’équipe compte également dans ses rangs des professeurs universitaires, des doyens de facultés et des entrepreneurs. «Bien sûr nous n’allons pas nous contenter des membres du bureau directeur. La structure du Centre sera inclusive, et il est envisagé de constituer, entre autres, un conseil d’expertise, un conseil élargi des comités thématiques, une branche pour les jeunes et une autre pour les femmes. La structure sera fixée lors de la prochaine réunion».

Concernant les objectifs du Centre, M. Ayadi rappelle que le développement régional est plus que jamais à l’ordre du jour. «Le prochain gouvernement, qui sera issu des élections du 24 juillet, aura l’obligation de revoir le modèle de développement national», estime-t-il. Pour lui, «le nouveau modèle devra donner une place centrale à la question du développement régional. C’est la première fois dans l’histoire de la Tunisie que le développement régional sera au centre. Notre ambition est de pouvoir contribuer par la réflexion dans la conception de la nouvelle politique du développement. Notre objectif est de combler le déficit constaté en matière de réflexion sur le développement, surtout chez les partis politiques.

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