Depuis le 14 janvier, la Tunisie est le théâtre d’une série de coups de théâtre… Découvertes surréalistes de pratiques et actes et hideux commis par l’ancien président, la famille et de certains alliés, des «S personnalités», pas du tout réputées pour leurs passés glorieux et leur intégrité, criant plus fort que toutes les personnes lésées et allant jusqu’à dénoncer des actes auxquels elles ont, elles-mêmes, concouru.
En janvier 1978, il y a eu 1.200 martyrs en Tunisie et pas de révolution. Le choc de la révolution 2011, avec ses 300 martyrs et «soft» en comparaison à d’autres, a entraîné un raz de marée social, politique et économique qui désarçonne à ce jour une Tunisie qui n’arrive pas encore à trouver ses marques.
Reconnaissons-le. Nous n’y sommes pas allés de main morte. Vengeance quand tu nous prends! La confusion totale dans laquelle baignait le pays, avec 11.000 prisonniers évadés, des snipers incontrôlables et des établissements économiques saccagés, qu’est-ce qu’on voulait? Qu’est-ce qu’on cherchait? Se débarrasser des symboles de l’ancien régime. Soit! Mais au moins procédons par ordre de priorités. Les Juifs poursuivent à ce jour, leurs «tortionnaires»… Ils ont tout d’abord assis leur autorité, notoriété, richesses et pouvoirs…
Pour la population en colère, les réactions passionnées étaient compréhensibles. Privée pendant des décennies de liberté, de dignité, elle voulait tout et tout de suite. Mais pour les autres, ceux qui avaient alors les rênes de l’Etat et qui commettaient erreur sur erreur, c’était impardonnable… L’improvisation était le maître-mot.
«Formons un gouvernement de coalition. Non plutôt un gouvernement de gestion d’affaires courantes… Pourquoi pas un gouvernement de technocrates… Un gouvernement de transition, c’est la formule la plus appropriée. Ouvrons les vannes de médias, tous, sans discernement, professionnels, amateurs et même blogueurs sans vérification de sources ou de faits, sans respect de l’éthique et dans l’amateurisme le plus total… Ne sommes-nous pas en démocratie? N’avons-nous pas conquis la liberté? Ne devons-nous pas respecter la volonté du peuple? Le peuple veut, allons-y! Le peuple a dit, écoutons-le… La corruption a atteint tous les départements de l’Etat.
Qu’à cela ne tienne, arrachons les «mauvaises herbes»… La justice est gangrenée? Débarrassons-nous des magistrats à réputation douteuse, ceux dénoncés par le peuple ou sur Facebook, notre agence de presse la plus crédible… Pas besoins d’enquêtes, pourvu que le peuple ait ses scalps. Des policiers ripoux? Dressons en donc une liste et débarrassons-nous de ceux «qui nous ont trahi, enfin peut-être» sans investigations, sans vérifications de faits ou des exactions commises. Que la volonté d’un peuple privé longtemps de sa volonté soit faite!
Est-ce que ce qu’a voulu le peuple ou les autres? Ceux qui veulent prendre leur revanche sans regarder plus loin que le bout de leur nez d’opportunistes revanchards à l’aveuglement…
A cause du zèle de nombre d’avocats «patriotes» qui, loin de faire preuve de civisme et payer les droits d’adhésion au Conseil de l’ordre, se sont empressés de faire le ménage sans oublier au passage de soumettre une loi discutable au gouvernement «transitoire», compétences, hauts responsables et entrepreneurs sont effarés.
Grâce à nos syndicalistes «patriotes» et «engagés», les investisseurs locaux et étrangers se terrent vivant dans la peur la plus totale. «A ce train là, certains avocats, magistrats et les médias vont mener le pays à sa perte», s’est écrié Mohamed N., épicier de son état. Il n’est pas loin de la vérité…
«Des partis qui observent silencieusement et hypocritement l’état chaotique qui frappe le pays»
Les partis, anarchistes, centristes et gauchistes font du surplace, n’arrivant pas à ce jour à offrir au «peuple» une vision claire de l’avenir et même des solutions ponctuelles pour remédier tout de suite au plus urgent. Seul Ennahdha –ou presque- consolide son assise populaire par du social. Terrain dans lequel ils sont les champions, mosquées aidant. Les autres, confinés dans leurs logiques électoralistes sans aucun soubassement populaire et sans aucune vision pratique et concrète de l’avenir, ne pensent à rien à part la date buttoir du 24 juillet. Oui mais si d’ici là, l’économie s’effondre, pourrons-nous réussir un 24 juillet.
«Les partis politiques ne se préoccupent que de leurs calculs électoraux… Et observent silencieusement et hypocritement l’état chaotique qui frappe notre pays. La complicité de plusieurs autres parties ne passe pas inaperçue et ne fait qu’accentuer cette situation. Les mass-médias n’assurent pas. Les vrais débats font défaut. En particulier ceux sur la sécurité. Car sans sécurité, il n’y a pas de démocratie… Il faut rétablir la sécurité et la sérénité, c’est notre droit en tant que citoyens…Le témoignage est de Fatma Zahra Magherbi, ressortissante tunisienne vivant en France.
Elle n’est pas la seule à avoir ce type de réflexion. Nour El Houda, fonctionnaire, se demande elle aussi à quoi sert une révolution «si on se fait maltraiter dans nos bureaux, si nos directeurs sont terrorisés dès qu’il y a des revendications émanant d’individus sanctionnés et ne possédant aucunement le droit d’exiger quoi que ce soit. «Je ne vous raconte pas les fois où mon supérieur hiérarchique n’ose pas prendre une décision parfaitement légale de peur des représailles. C’est ça la Tunisie nouvelle? Celle de la loi de la jungle?
Mais encore… Le gouvernement de transition, lui aussi, est attentiste que toutes les autres composantes de la société. Aucune décision courageuse, aucune autorité. On a l’impression qu’il est lui aussi terrorisé face au terrain fictif que prennent les partis extrémistes. «Mais que fait donc ce gouvernement? Nous avons peur le jour, la nuit, partout et à n’importe quelle heure. Avant de se débarrasser de tout ce beau monde, ne fallait-il pas d’abord assurer nos arrières? Garantir la sécurité? Sécuriser le terrain? Et cet ancien ministre de l’Intérieur, parachuté dans un ministère de souveraineté, qui faisait du show télévisé, faisant des déclarations fracassantes sur les personnes qu’il a mises à la retraite et celles qui ont repris le service. Avait-il une idée sur ce qu’il faisait? Nous avons besoin de stabilité, nous ne pouvons plus continuer ainsi». C’est un homme du peuple, propriétaire d’une petite pizzeria, qui témoigne ainsi. Le peuple ne fait pas d’émeutes, il veut la paix. C’est la populace qui en fait et on doit la maîtriser.
«J’ai bien peur que cette révolution échoue. Mes amies ont peur. Nous entendons toutes sortes d’histoires, des intégristes qui vont dans des centres commerciaux et menacent les femmes non voilées. Des ouvrières comme nous mises en chômage parce que leurs patrons ferment boutiques, nous angoissons. Aujourd’hui, nous ne comprenons pas ce qui se passe réellement et nous ignorons ce qui nous attend, j’ai peur». Elle s’appelle Souad et elle travaille dans une usine de textiles sise à la Charguia.
Aujourd’hui, le peuple s’inquiète, parce qu’on lui a fait assumer plus de responsabilités en 3 mois qu’il n’en a assumé en 60 ans. Le peuple a besoin de s’habituer à cette liberté nouvelle, et d’apprendre l’art de la citoyenneté.
Le peuple ne peut détruire son pays. Ces individus qui coupent les routes, qui empêchent les travailleurs de se rendre à leurs lieux de travail, ces employés ou cadres qui font du dégage systématique ou qui font circuler des informations confidentielles sans en estimer les conséquences dans l’inconscience totale, ceux qui s’attaquent aux trains et aux moyens de transport interdisant le transport de marchandises et bloquant l’accès aux centres de production sous prétexte qu’ils doivent récupérer leurs «droits» et tout de suite, ne sont pas le peuple. Ceux qui refusent de payer les factures arguant qu’ils ont assez payé et que c’est l’argent des Trabelsi qui doit tout rembourser ne sont pas le peuple. Le peuple ne détruit pas, il construit, mais pour comprendre, on doit lui parler et lui expliquer.