C’est en tant qu’économiste et universitaire qu’Abderrazek Zouari, ministre du Développement régional, a fait une intervention lors de la conférence organisée par la jeune association «Tunisie solidaire», le 7 mai 2011, pour débattre du modèle économique pour la Tunisie après le 14 janvier 2011. La tâche n’est pas facile, tant les troubles sécuritaires continuent à secouer le pays, engendrant un retour aux confrontations et un couvre-feu nocturne. Mais soyons optimistes…
Peut-on instaurer une démocratie sans développement économique? C’est possible, estime M. Zouari, puisque plusieurs pays l’ont vécu. «Ils ont instauré la démocratie mais n’ont pas réussi au niveau économique. Et le pire est de revenir à la dictature. Celle-ci peut réaliser le développement économique avec un faible potentiel de croissance. Si on veut réussir cette transition, il faut arriver à coupler démocratie et développement».
Selon lui, l’économie sociale de marché serait le bon choix pour la Tunisie, malgré les critiques. «Il y a une remise en cause de l’économie de marché à partir de la pratique «benalienne». Mais ceci ne doit pas remettre en cause ce modèle économique. Notre économie est ouverte à l’extérieur. Nous avons des dettes à rembourser. Ce modèle garantit également la libre entreprise dont on a beaucoup besoin en ce moment», explique-t-il.
Rôle de l’Etat…
Cependant, pour appliquer ce modèle, M. Zouari estime que le rôle de l’Etat est très important, et même plus important que dans une économie étatisée. C’est à lui d’établir les règles du jeu en promulguant les lois et les réglementations et en veillant à leur respect. Il doit s’occuper de tous les secteurs où l’entreprise n’est pas performante en lançant les investissements et les grands projets. Il est de son rôle de réguler l’activité économique par la mise en place d’une politique budgétaire, économique, monétaire et fiscale. Il doit également être un Etat redistributeur en luttant contre les inégalités et en œuvrant à corriger le déséquilibre régional.
Reste que cette feuille de route ne pourra être appliquée sans la bonne gouvernance, qui est très difficile à réaliser dans une économie étatisée puisque ce sont les bureaucrates qui décident, précise M. Zouari. La bonne gouvernance imposerait l’implication des citoyens dans le processus de développement en s’appropriant les projets. Elle leur donne une voix (voice) pour exiger des comptes à leurs gouvernants. Elle pousserait ces derniers à rendre compte de ce qu’ils font.
Des institutions indépendantes…
Pour notre économiste, les enjeux sont énormes, dans ces circonstances particulières. Avec un taux de croissance qui s’approchera de 0%, il faudrait penser aux scénarios qui relanceraient cette croissance. Une chose est sûre, «si la Tunisie continue à 4% de croissance, rien ne pourra être fait pour l’emploi», indique-t-il. Pour cela, il faudrait miser sur l’économie de l’innovation qui permettra d’atteindre un taux de 7 à 8%, en consolidant le secteur des services. Ce qui ne peut se faire sans réformer le système éducatif et le réviser dans une perspective de continuité entre l’éducation, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Concernant le développement régional, revêtant cette fois-ci son rôle de ministre, M. Zouari affirme qu’il n’y avait jamais eu de politique gouvernementale dans ce domaine ni une répartition budgétaire pour les régions.
D’un autre côté, il a précisé que le pays passera certainement par une période d’instabilité politique mais ceci ne doit pas l’empêcher d’être performante sur le plan économique. Pour ce faire, il faudrait miser sur des institutions indépendantes. «Je milite pour qu’il y ait un institut national de la statistique indépendant du gouvernement. C’est aussi le cas pour d’autres institutions stratégiques, telle que la Banque centrale. L’expérience du Liban est révélatrice sur ce point. Il réalise un taux de croissance positif malgré l’instabilité politique parce qu’il est doté d’institutions indépendantes», clame-t-il.
Le développement économique serait-il donc une composante essentielle du processus démocratique? Beaucoup le pensent aujourd’hui. Il serait même l’incarnation de cette démocratie à laquelle on aspire tous. Relever le défi économique contribuera à relever le défi démocratique.