C’est si complexe de comprendre ce qui se passe? Mis à part le bien-fondé ou non
des propos tenus par l’ex-ministre de l’Intérieur, ne voit-on pas que des foules
de criminels, de prisonniers évadés, ou de simples jeunes, très jeunes même, en
perte de repères, soif d’identité, besoin d’existence, de prouver quelque chose,
et qui sautent sur la première occasion pour s’exprimer de quelque façon que ce
soit, pour agir…. dans le sens du vent. Le chao. C’est bien cela.
En l’absence symbolique d’une police, et plus globalement d’un Etat fort.
«Violent» comme un Etat devrait l’être, pour faire régner l’ordre, et protéger
la majorité silencieuse, de la minorité active.
Je pense qu’il est très probable, que nombre de ces jeunes sont les mêmes qui
ont surveillé leurs immeubles, des bâtons à la main. Les mêmes bâtons peuvent
avoir servi à deux «manifestations» différentes. Complètement différentes pour
un observateur extérieur, mais très probablement similaires pour le sujet qui
les entreprend, car, c’est ainsi qu’il se sent exister, c’est ainsi qu’il donne
du sens à sa vie.
Une fois, il surveille son quartier, très fièrement il fait le policier, il se
permet d’arrêter les voitures, de vérifier les passagers, etc., comme un
policier, le «hakem» étant le symbole ultime de la puissance dans ce pays
jusqu’au 14 janvier. Une fois, il va casser et voler, pour exprimer sa colère,
pour qu’on le filme, pour qu’il entre en collision avec la «nouvelle police» si
docile. Et même quand il vole, peut-être qu’il n’appelle pas cela comme ça lui…
le jeune, démuni, chômeur, en perte de sens, etc. Peut-être que c’est de la
«redistribution de la richesse» pour lui. Se faire justice sociale et économique
soi-même, à la manière d’un Robinson des temps modernes, transférer de ceux qui
ont vers ceux qui n’en ont pas. Et quand ce n’est pas possible, alors on brûle
(le véhicule, les pneus) et on passe. Voilà tout.
Effectivement, je pense que la question du chômage, celle de la panne de
l’ascenseur social, celle du flou en termes de repères, dans une phase où on
sort de la dictature, autrement «tu ne penses rien, tu n’es rien…» à la phase de
la liberté «tu peux penser, tu peux faire, ce que tu veux…» (à peu près)…,
ajoutées à un certain nombre de facteurs externes, toutes ces questions sont le
cadre fondamental pour comprendre ce qui se passe.
J’ai déjà parlé dans un précédant article de l’importance décisive des
technologies de l’information qui démocratisent la diffusion et l’interprétation
de l’information .
Je pense devoir ajouter que cette révolution technologique n’est pas forcément
porteuse de progrès. Elle est porteuse de possibilités. Celles du meilleur comme
celles du pire. Et les possibilités ce sont quelques acteurs qui les décident.
Les quelques acteurs qui sont les plus actifs sur la Toile, sur les réseaux
sociaux, FB précisément en Tunisie.
Ces quelques acteurs sont les oiseaux qui (du grand nuage) volent sur les côtés,
et «proposent» les trajectoires à suivre, au reste du nuage, des milliers
d’oiseaux. Comme ça, le grand nuage noir d’oiseaux va prendre la direction
«indiquée, suggérée» par ces quelques oiseaux, acteurs.
Sous-entendre que quelques acteurs, les plus actifs, vont orienter la direction
que va prendre les foules de jeunes, et moins jeunes, décrites plus haut. Foules
de suiveurs, à profil plutôt récepteur, et très sensibles à la rumeur, à la
théorie du complot, car cela leur donne un statut, potentiel, de héros, sauveurs
de la Révolution. Eux qui sont à la recherche de sens dans tout ce chao… quoi de
meilleur. Ca tombe pile face à leurs aspirations.
Ainsi, une vidéo, qui peut passer complètement inaperçue, est relayée par une
large frange de facebookers. La transmission virale est le propre des réseaux
sociaux, transmission du meilleur, comme du pire. C’est-à-dire que la révolution
a bien eu lieu (en partie) grâce à une transmission virale des vidéos de Sidi
Bouzid, tout comme cet orage de chao et de violence est provoqué par une
transmission virale de la vidéo de M. Rajhi.
Ce qui se passe est très dangereux, dans le sens où, comme toujours, la majorité
est silencieuse. Les bonnes femmes mères de famille, et les citoyens lamda
ordinaires, ne font que courir du matin au soir pour nourrir leurs enfants. La
scène politique et publique, en général, est donc «contrôlée» par la minorité
active. Pareil dans les stades.
Faut-il être un si grand stratège pour savoir qu’il faut neutraliser, et
fermement, les éléments minoritaires perturbateurs, casseurs et voleurs… pour
dissuader les éventuels suiveurs, et apaiser la majorité?
Je termine par un salut à l’armée, ces gens qui ne sont pas rentrés chez eux
depuis des mois, qui ne voient pas leurs femmes et enfants le soir, mais qui
sont mobilisés dans le sud comme dans la capitale.