La nouvelle campagne de communication du tourisme tunisien sur le marché français veut prendre la révolution du bon côté. Une campagne décalée avec une pointe d’humour. Seulement, au vu de la détérioration de la situation qui engendre l’instauration du couvre-feu sur certaines régions du pays, l’impact de cette campagne fait rire jaune en Tunisie. Mais il semblerait qu’elle soit mieux accueillie dans l’Hexagone.
L’Office national du tourisme tunisien (ONTT) a présenté sa nouvelle campagne pour relancer la machine touristique tunisienne. Une campagne d’envergure qui a été réalisée par l’agence Ogilvy Tunis pour un budget de plus de 3 millions d’euros. Seul hic, la campagne coïncide avec une vague de violence qui s’est emparée de la capitale et de quelques régions non touristiques. Le danger lorsqu’on communique sur la dimension sécuritaire d’un pays, c’est d’être rapidement dépassé et démenti!
Plan B? Arrêt de la campagne? «Il n’en est pas question. Nous suivons de près son impact, et le monitoring que nous en faisons est positif. La campagne proprement dite sera lancée la semaine prochaine», résume Cyrine Cherif, directeur d’Ogilvy. «Cette campagne a été réalisée en un temps record, nous n’avions pas le temps de faire des shooting», répond-t-elle concernant la polémique qui a éclaté au sujet des photos. L’un des visuels de la campagne est en fait la photo d’un golf acheté à l’agence «Getty Images», une bibliothèque d’images étrangères. Un comble pour l’opinion et les photographes tunisiens!
Alors qu’une majorité de journaux français accueillaient positivement la campagne, bien des dents grinçaient en Tunisie. Pour les uns, «le sujet est trop sérieux pour en rire», «il faut tout de suite arrêter cette campagne et les dépenses inutiles en ces temps d’insécurité, l’argent est précieux et il ne faut pas le jeter par les fenêtres». Pour d’autres, celle-ci amorce un vrai début de changement. Il la trouve «débordante d’humour. J’aime, ca change et ca promet… elle est fraîche et il faut arrêter de tout critiquer et casser systématiquement…».
Campagne ou pas, la question qui, finalement, divise est celle de savoir s’il faut continuer à investir ou «s’agiter» pour sauver ce qui peut l’être de la saison ou pas. Nombreux sont ceux qui pensent que continuer sur fond d’insécurité, c’est de l’entêtement et une prise de risque que l’on ne mesure pas. Beaucoup pensent que l’urgence est à l’assainissement du secteur et de son administration. D’autres, estiment que l’heure est grave et qu’il fait continuer à fournir tous les efforts possibles pour faire revenir les touristes, coûte que coûte.
MZ est opératrice dans le tourisme depuis plus de 30 ans. Elle s’oppose à toute forme de détournement de la campagne que l’on voit se développer sur les réseaux sociaux : «Dans le tourisme, nous n’avons pas le cœur à rire. Bus de touristes russes matraqué par des lanceurs de pierres à la sortie de l’aéroport d’Enfida, pilotes agressés, laxisme à l’aéroport de Tunis-Carthage: des centaines de voyageurs dans l’incompréhension et laissés dans l’inquiétude, grèves par-ci, sit-inneurs par-là, détournement des vols dû aux grévistes de l’aéroport de Monastir, grèves des services Catering des aéroports… Si nous ne voulons plus de touristes, continuons!».
L’avis de Jallel Gastli, photographe, se résume à ce qui suit :: «J’aimerais juste que l’on prenne définitivement en considération que les “touristes” et le “tourisme” sont désormais un fantasme, une vision romantique de la Tunisie, une utopie. Comment peut-on rester crédule et naïf lorsque des obus libyens tombent sur le territoire de la Tunisie, que l’Otan bombarde un pays frontalier avec la Tunisie, que des milliers de réfugiés passent la frontière, ou débarquent à Lampedusa… J’estime que des mesures exceptionnelles doivent être prises pour sauvegarder les emplois et les salaires dans le secteur du tourisme. Un plan d’urgence qui doit être mis en place avec effet immédiat. Trouver les fonds pour mettre le secteur sous perfusion tout de suite et sans délais. Pour le moment, les touristes ne viendront pas… Il va falloir l’admettre une fois pour toutes, assumer, et gérer cette situation. Le reste n’est qu’une agitation médiatique qui confine au ridicule..».
La polémique
Alors que les visuels affichaient des slogans «Il paraît qu’en Tunisie, la tension est à son comble… A vous de voir». De ce côté-ci du miroir, c’est tout vu, serions-nous tentés de dire! A vouloir attendre une bonne vague qui ne vient pas, on finit par avaler la tasse.
Par contre, du côté de la représentation du tourisme tunisien en France, Amel Hachani est plus enthousiaste. Pour elle: «La campagne est très bien reçue pour un démarrage depuis le 30 avril via le Net. La majorité des médias y a réagi positivement. Même le très sévère “libération“ en parle! La campagne est jugée originale et intelligente… Elle confirme le changement et prouve au Français que nous savons lui parler. Nous sommes libres grâce à la révolution et cette liberté s’exprime enfin!». Qu’à cela ne tienne! L’important ce sont les résultats et ils semblent, bien avant la campagne, en nette amélioration, en tous cas sur le marché français. Amel Hachani précise qu’en effet que «nous sommes passés de -65% à -45% au 30 avril 2001. C’est un bon signe qui marque la tendance du marché. La campagne appuie cette reprise et contribuera à résorber la baisse».
Comme une bonne nouvelle ne vient aussi jamais seule, il est important de savoir que la programmation aérienne sur la France reste quasiment identique à celle de l’année dernière à pareille époque. Les opérateurs consolident la destination Tunisie. Ils communiquent plus et mieux. Bel et bien perçue comme une destination «last minute», la Tunisie a, selon la représentante à Paris, encore de la marge.
Amel Hachani rajoute: «Nous avons encore 2 actions RP pour consolider la campagne institutionnelle et une grande opération avec le Village des jasmins à la fin du mois de mai … La campagne a coûté 2,6 millions d’euros en achat d’espace pour un affichage Métro parisien et villes françaises comme Marseille, Nice, Cannes, Lille, Lyon, Bordeaux, Paris, Nantes, Strasbourg et Toulouse. Une deuxième vague d’affichage reprend la semaine du 23 mai et nous attaquons la télévision du 10 Juin au 3 juillet».
D’autres espoirs semblent encore permis, du moins sur le marché français. Un marché qui réalise plus de 1,4 million de touristes par an.
Alors que de nombreux reproches sont exprimés à l’encontre du ministre du Tourisme tunisien, Mehdi Haouas, pour justement ne fournir des efforts que sur le marché français au détriment du reste de marchés émetteurs, espérons que celui-ci répondra au mieux.
Du côté de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH), le moral est en berne. On estime qu’avec la moitié de ce budget, il aurait été préférable d’attaquer des marchés plus accessibles et réactifs comme les pays de l’Est. La question principale étant la situation des autres marchés qui dégringolent. Comment réagit l’Allemagne et l’Italie? Quelles sont les prévisions? Quels moyens déploie-t-on pour les motiver?
Amel Benhadj, journaliste, est au fait de l’actualité. Elle pense que «le problème de l’insécurité est en train d’être réglé, le gouvernement pèse de tout son poids, tolérance 0, le seul problème ce sont les aéroports, même pas la Libye où les choses commencent à tourner à l’avantage des révolutionnaires. La campagne est intelligente, elle ne dit pas que tout va bien, c’est déjà ça! Les révolutions c’est aussi cela. Les clients qui vont au Mexique ne sont pas sûrs de trouver le confort et la sécurité, le plus important c’est d’être clair».
Développer une stratégie de communication en ces temps incertains requiert d’appréhender au mieux les opportunités et calculer les menaces. Une lecture approximative ou défaillante de la réalité peut coûter cher.
Mieux vaut en rire que d’en pleurer… à moins d’espérer!
A vous de voir!