Un diagnostic, c’est ce qu’a voulu établir la Banque africaine de développement (BAD) en préparant une note économique sur la conjoncture post-révolutionnaire de la Tunisie et en invitant, à l’occasion, une rencontre-débat organisée jeudi 12 mai à l’Amen Bank le gouverneur de la BCT, un économiste réputé consultant aux Nations unies et un jeune représentant de l’entrepreneuriat.
La BAD a publié une note sur les perspectives économiques de la Tunisie dans laquelle elle définit, ce qu’elle estime comme étant les «principaux défis au développement qui ont été parmi les moteurs de la révolution et qui persistent après celles-ci», et présente une série de scénarios économiques pour 2011 et 2012. Une appréciation mise en doute tout de suite par Mustapha Kamel Ennabli qui a déclaré tout de go: «Je ne pense pas que l’on puisse donner des réponses sur les raisons économiques qui ont mené à la révolution. La raison en est très simple, on peut envisager plusieurs causes à la révolution et nous n’avons que l’observation pour en parler, point de vue statistique, c’est une question qui n’aura jamais de réponse.
Politique? Economique? Sociale? Cette révolution a été suscitée par tellement de choses que l’on n’arrive plus à savoir qu’elle est la principale raison qui a mené à son déclenchement. Pour parler de la situation actuelle, j’éviterais de parler chiffre. Par contre, je dirais que la caractéristique fondamentale de la Tunisie aujourd’hui est l’incertitude».
Au mois de janvier, on ne savait pas vers quoi on allait et où on serait au mois de mars, aujourd’hui, nous ne savons pas où nous serons au mois de juillet, a ajouté M. Ennabli.
Les scénarios possibles pour la dernière moitié de l’année 2011, l’année 2012 sont très différents. Les prévisions de la BAD, de la Banque mondiale et de la Tunisie offrent nombre de possibilités. Une croissance qui varie de -2% à +3 ou +3,5%, ou 0 à 3%. Chacun y va de son analyse et de son approche.
D’après lui, les décisions de politique économique ne doivent pas se baser sur des modèles ou des approches mis en place par des organismes spécialisés car il ne s’agit pas de gérer des risques mais l’incertitude. Il faudrait pour cela se mettre en situation de gestion de cette incertitude. Les raisons des incertitudes sont multiples, politiques, géopolitiques, économiques, que ce soit à l’international ou local… la liste est longue. La question qui se pose à ce niveau là, d’après le gouverneur de la BCT, est comment gérer au jour le jour ces incertitudes ?
Un exemple: «Quelle devrait être notre politique monétaire aujourd’hui? Devons-nous utiliser toute la marge, devons-nous nous servir de tous les instruments à notre disposition ou bien une partie en gardant une marge de manœuvre pour le futur. C’est le genre de questions que nous devons tout le temps affronter. Par exemple, il y a le problème des liquidités des banques. Nous nous demandons, si nous devons garder les réserves obligatoires de l’ordre de 12,5 points aujourd’hui ou les réduire à 0. Vous vous dites, je vais baisser de 5 points et attendre, ou bien j’utilise les réserves obligatoires et ensuite j’utilise l’instrument de politique monétaire qui est le taux d’intérêt immédiatement, donc différentes possibilités s’offrent à nous pour gérer l’incertain»…
Gérer le risque n’est pas gérer l’incertitude
La gestion du risque est par ailleurs le fait de prendre des décisions importantes et toujours avoir les instruments disponibles pour le moment où on en a besoin «que ce soit l’endettement extérieur, la politique monétaire, de change, de crédit ou autre». Ce qui est encore plus difficile, c’est la gestion de l’incertain, assure M. Ennabli, d’autant plus que les pressions proviennent de tous les côtés. Tout le monde veut tout et tout de suite. La situation aujourd’hui en Tunisie est difficile et a entraîné la prise d’un certain nombre de décisions. «Les trois prochains mois seront cruciaux, car nous sommes en train d’utiliser les marges de manœuvre que nous avions dans le secteur monétaire, et à un certain moment, il y aura des pressions beaucoup plus fortes que je ne pourrais définir ou prévoir; elles peuvent être extérieures ou locales. Le plus important est d’être prêt à réagir en temps voulu pour éviter tout dérapage qui serait nocif pour notre pays et dangereux pour la situation économique».
La BAD a, dans la note réalisée par ses économistes, décrit la Tunisie comme un pays pendant longtemps considérée comme un «exemple de réussite» sur le continent africain, et qui s’est distinguée par ces avancées dans la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement avec une moyenne de croissance de 4 à 5% jusqu’en 2010.
Mais ceci n’a pas empêché la révolution dont les causes profondes résident dans les «difficultés quotidiennes auxquelles est confrontée la population et qui ont abouti aux troubles qui se sont produits malgré de présumés progrès sociaux». La Tunisie avait pourtant des notes satisfaisantes en matière de développement humain, occupant la 98ème place sur 182 pays. En Afrique, trois pays seulement se classent mieux que la Tunisie (la Libye est 55e, les Seychelles 57e et Maurice 81e). Mais c’est le chômage, resté supérieur à 14%, chez les jeunes diplômés, et accru par un «facteur de 10 au cours des deux dernières décennies atteignant 20% en 2010, qui est le point noir de la Tunisie.
La BAD est toutefois optimiste quant à l’avenir de la Tunisie, dans ses prévisions, elle annonce de grandes promesses apportées par la révolution: «ses fruits à plus long terme pourraient bien être importants du point de la croissance économique ainsi que de l’équité et de la cohésion sociales malgré une situation politique fragile» aujourd’hui.
Toujours d’après les experts de la BAD, le gouvernement est confronté à court terme à la situation d’urgence immédiate occasionnée par un rétrécissement de la marge de manœuvre financière et des exigences sociales croissantes, tandis que les problèmes liés au chômage des jeunes, aux disparités régionales et à l’exclusion économique ne peuvent rester non résolus. Les autorités ont estimé que lors des récentes perturbations, des pertes de 5 et 8 milliards de dollars (à peu près 4% du PIB) ont été enregistrées, les recettes touristiques fortement touchées, les principaux investissements suspendus et des milliers d’emplois perdus. Au cours du mois de janvier 2011, un montant de 1,8 milliard de dinars a été injecté dans le secteur bancaire pour endiguer un retrait massif.
Mais c’est le prix à payer pour une révolution qui n’est pas des plus coûteuses parmi celles qui ont été réalisées dans le monde n’est ce pas.
Comme le dit une pub d’une grande compagnie privée de téléphonie, «Bil Mostakbal mitfa-alin» (Nous restons optimistes quant à notre avenir).
Encore faut-il que les élections du 24 juillet se passent sans trop de heurts pour qu’un gouvernement légitime puisse prendre les décisions nécessaires pour mener le pays vers la rive du salut.