CHRONIQUE Tunisie : Lettre ouverte aux médias

«Touwensa Ahrar», c’est l’émission qui a déclenché l’écriture de cet article. Ah
ce que j’aime! Ah quelle bouffée d’air frais… Ou que dire, bouffée de fierté
plutôt… Oui je crois que ça m’a donné de la fierté. Et c’est exactement ce qu’il
nous faut maintenant.

«Touwenssa Ahrar», voilà un exemple d’émission qui donne la parole aux jeunes.
Avec un style léger et novateur. Avec la caméra qui se déplace, et des gros
plans, on dirait amateurs, qui rappellent de très près les vidéos partagées sur
FB. Et tant mieux. Il faut suivre l’évolution technologique, et prendre le train
FB. La caméra qui se déplace, qui n’est plus centrée sur les deux trois visages
de l’animateur et invités figés derrière leur table ronde, traduit peut-être un
changement radical que vivent nos sociétés de tradition arabo-musulmanes, et
donc paternalistes. La jeunesse prend le pouvoir, symboliquement. Ce ne sont
plus les adultes qui nous apprennent la vie, ce sont les jeunes.

Analyse…

La théorie des représentations sociales nous apprend que certaines
représentations sont véhiculées et partagées dans une société donnée. Et ces
représentations, produits culturels et historiques, sont des entités
changeantes. Elles changent et évoluent selon l’évolution des circonstances ou
des conditions objectives de la société en question. Et elles changent de façon
à toujours rester en phase avec les normes et les codes culturels de la société.
Bref. Autant dire que c’est la caractéristique première de ces entités,
invisibles bien sûr, mais tellement présentes dans notre langage, notre pensée,
nos rapports les uns aux autres, etc.

Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont ces entités que sont les
représentations sociales changent et sont en train de changer en ce moment clé
de notre histoire, d’après
14 janvier.

Ma lecture personnelle des évènements me permet de dire que nous assistons à un
changement ou à une transformation brutale. La transformation est dite une
brutale –selon la théorie- quand la représentation ancienne est complètement
cassée, détruite ou devenue non opérationnelle, ou invalide. Invalide, car ne
permet plus de lire et de s’approprier le réel, et donc d’exister et d’agir dans
ce réel.

Ce qui s’est passé dans cet historique mois de janvier a rendu obsolète grand
nombre de nos représentations. Celle de la nation par exemple, celle de l’Etat,
celle du pouvoir, celle de l’hymne national ou du drapeau… que nous aimons tant
à présent, etc. Et tout cela est donc à reconstruire; et c’est là où je veux en
venir. Tout est à reconstruire maintenant. Et surtout et d’abord les
représentations.

La nouvelle représentation va se construire à partir de tout et de n’importe
quel élément qui est véhiculé dans l’espace public. Et c’est là que j’en viens
au rôle fondamental et fondateur des médias. Rôle parfaitement joué par les
médias des «grands pays», si l’on peut considérer qu’il existe des grands et des
petits pays.

Regardez cette prolifération d’émissions sur les télés et les radios
américaines, où on en entend «Good Morning America», «Hello! it’s America», etc.
Regardez un journal télé dans une chaîne publique française, et calculez le
nombre de fois où on prononce le mot «les Français» ou «la France».

C’est de cela que je parle. Une représentation collective et partagée se
construit, via la communication d’un message donné. Et qui d’autres que les
médias de masse est le plus capable, et le plus responsable, historiquement, de
cela?

Les médias ont une responsabilité proprement immense. On ne peut pas se
permettre par exemple que de n’être que le porte-parole du peuple, surtout quand
on est une télé publique, de service public.

La première mission de service public d’une télé devrait être, à mon avis, de
construire une fierté nationale, une représentation positive du pays, une
représentation positive de l’avenir. Il nous faut une stratégie des médias
publics dans ce sens, beaucoup d’émissions dans ce sens, bref un souffle
nouveau. Ce sera la feuille de route inconsciente qui nous permettra d’avancer,
sachant bien où aller…