A peine à deux mois de l’élection de l’Assemblée Constituante, le 24 juillet 2011, les Tunisiens savent-ils pour qui voter? Une question on ne peut plus angoissante, quand on sait que 67 partis politiques composent aujourd’hui le paysage politique tunisien. A part quelques partis, pour la plupart des anciens, qui ont bénéficié d’une couverture médiatique importante, on sait peu de choses sur les nouveaux partis nés après le 14 janvier 2011.
Pour qui va-t-on voter, donc? Ces élections seront le premier exercice démocratique dans l’histoire de la Tunisie. Leur réussite est un défi auquel s’attèlent à réaliser partis politiques et représentants de la société civile. Mais on sait peu comment gagner ce pari. «Ce ne sont pas les élections qui font la démocratie», prévient Pierre Verjans, expert international dans le contrôle des élections et professeur en sciences politiques à l’Université de Liège en Belgique. «C’est plutôt leur répétition et le débat qui en découle. Cette répétition permet aux citoyens de connaître les hommes politiques valables, les partis. Ce sont les élections régulières qui permettent de faire le tri», lance-t-il, lors de la table ronde organisée, le 17 mai 2011, par la Ligue Tunisienne pour la Citoyenneté.
Importance du débat…
Une déclaration qui pourrait surprendre certains. Mais à voir de près, la Tunisie est exactement dans ce cas de figure. Une instabilité politique, une sécurité «déguisée», un gouvernement fragile, un paysage politique conflictuel, on ne sait vraiment pas comment s’en sortir. Pour M. Vergens, la Tunisie devrait passer l’épreuve de la discussion, condition sine qua none de l’exercice démocratique. «Depuis mon arrivée en Tunisie, après le 14 janvier, j’ai remarqué que les Tunisiens savent débattre. Vous me diriez que nous débattions auparavant de football. Mais je vous dis que c’est un bel exercice. Le Tunisien a un sens du débat», indique-t-il avec un ton humoristique.
Selon lui, il est très important de prévoir des témoins et des observateurs dans les élections du 24 juillet 2011. M. Vergens indique qu’il est impératif que chaque parti ait un témoin formé dans les bureaux de vote pour suivre le déroulement des élections. «Ceci contribue à crédibiliser les élections, à rendre le système transparent et transposable à la population».
Tirer les leçon du passé…
D’ailleurs, Béchir Yazidi, chercheur à l’Institut de l’histoire du mouvement national, prévient: il faut éviter de tomber dans les fautes du passé. Dans son intervention, il a relayé les circonstances qui ont entouré les élections de l’Assemblée Constituante en 1956. «Deux ans après sa création, cette assemblée a donné une Constitution qui consacre l’hégémonie absolue du parti unique. Plusieurs décisions stratégiques ont été prises en dehors de l’Assemblée et de la consultation populaire telle que le Code du statut personnel», témoigne-t-il.
D’ailleurs, l’Assemblée Constituante n’avait pas le droit de promulguer des lois ou des décrets ou le contrôle du gouvernement. Ce qui fait qu’il y a eu un déséquilibre entre les trois pouvoirs au profit du pouvoir exécutif, représenté par Bourguiba. Résultat: l’Assemblée Constituante avait choisi le système présidentiel sous l’impulsion de Bourguiba, qui tenait en main toutes les décisions stratégiques de l’Etat. Selon M. Yazidi, le leader populaire a tout fait pour prolonger la période de promulgation de la Constitution, qui a pris deux années pour être finalisée. «Entre 1956 et 1959, l’Assemblée a consacré seulement moins de 20 sessions pour la Constitution», affirme-t-il. Il ne faut pas oublier ce que Bourguiba a dit, à la veille de la promulgation de la Constitution de 1959, dans un entretien avec Jean Daniel: «Je suis le système!». Une leçon du passé qui doit être prise en compte, dans ce contexte bien particulier que vit notre pays. Donc, soyons vigilants, chers compatriotes!