On n’avait jamais confiance en les chiffres que nous exposait l’ancien régime. Accusé de manipulation et de malversations, on lui accordait très peu de crédibilité en ce qui concerne les informations statistiques qui ont servi comme instrument de propagande politique au profit du pouvoir en place. La publication de ces informations était limitée et les organismes chargés témoignaient d’un manque de communication flagrant.
Une chose que reconnait Mohamed Daoues, président du Conseil national de la statistique (CNS), qui a affirmé, lors d’une conférence de presse organisée le 18 mai 2011, qu’un grand nombre de publications statistiques a été retenu en interne. En 2010, 213 opérations ont été réalisées, dont 58% ont été divulgués au public. Il existe également un manque d’explication dans 53% des cas et la non consultation des utilisateurs dans 67% des cas. De même pour l’accessibilité sur Internet qui est restée limitée.
Indépendance des statistiques…
Après le 14 janvier 2011, le CNS prévoit de communiquer plus sur ses activités et de privilégier la transmission d’une information fiable, crédible et surtout bien expliquée pour les utilisateurs, qu’ils soient journalistes, chercheurs, universitaires, politiciens, etc. L’objectif est de rapprocher l’information statistique du grand public à travers la presse. «Il est impératif de réorienter l’activité du Centre national de la statistique mais aussi l’Institut national de la statistique (INS) et autres institutions, pour que les statistiques ne soient pas seulement adressées à l’administration mais à tous les partenaires politiques et sociaux», explique Salah Hanachi, membre du CNS.
Il lance, ainsi, un appel à l’indépendance des ces institutions à l’égard de l’Etat. Une chose qui consolidera leur crédibilité aux yeux des Tunisiens tout en permettant d’éviter l’interventionnisme des autorités publiques. La révision de la politique de publication des statistiques est aussi à défendre. «La statistique ne doit plus être au service de l’administration, seulement», lance M. Hanachi.
D’un autre côté, Souhail Chebbi, ingénieur principal à l’Institut national de la statistique a expliqué que les statistiques régionales représentaient un dilemme au sein de l’INS. Même si il en dispose, l’institut n’a jamais publié ces statistiques, partant de la volonté de l’ancien régime de camoufler les disparités régionales. M. Chebbi a également présenté les méthodes de calcul de l’INS, qui tendent à coller avec les normes internationales. A l’exemple du taux de chômage.
Des lacunes…
Depuis 2005, l’Institut s’est conformé aux normes du Bureau International du Travail, avec l’extension de l’âge du chômeur de 15 ans et plus. Il en a résulté une augmentation du nombre de chômeurs de plus 40.000 environ. Il s’agit aussi de ne pas prendre en compte les chômeurs qui ne cherchent pas du travail, prenant en compte les chômeurs actifs ou les demandeurs d’emploi qui s’inscrivent dans les bureaux d’emploi. Mais cette dernière disposition colle-t-elle vraiment avec notre contexte? Si dans certains pays, l’inscription dans les bureaux d’emploi est une obligation, il n’est pas de même en Tunisie. Une question qui doit être révisée, selon les membres du CNS, puisqu’elle a réduit le nombre de chômeurs (de 14,1% à 13%) et ne reflète pas la réalité sociale. En réponse, M. Chebbi a indiqué que la conformité à ses normes a pour but de conforter le positionnement de la Tunisie par rapport aux autres pays. Mais ceci n’empêche pas l’INS de réaliser des enquêtes déclaratives pour recenser exactement le taux de chômage.
Autre lacune reprochée à l’Institut, le calcul de l’indice des prix à la consommation. Bien qu’on soit actuellement en 2011, l’année de référence est toujours restée 2005. Six années de différence, durant lesquelles les comportements des consommateurs, leurs préférences, leurs utilisations des produits ont changé. Mais Chedly Béji, ingénieur principal à l’INS, rassure que le panier est représentatif d’une façon suffisante, recensant 1.000 types de produits. «Vous y trouverez même le lait de l’ogre», lance-t-il, en référence à un proverbe tunisien, en ajoutant «je ne peux pas vous communiquer la liste parce que ceci relève du secret statistique et pour éviter la manipulation. Certains pourraient utiliser cette information pour monopoliser le marché et contrôler les prix», affirme-t-il.
Concernant les régions, M. Béji indique que les indices régionaux de consommation existent, mais n’étaient pas communiqué, par la volonté de l’ancien régime. M. Daoues souligne qu’il est important de traiter l’indice par région parce que les habitudes de consommation ne sont pas les mêmes entre une région et une autre. Ce qui pourrait donner un tableau assez représentatif de la consommation familiale dans les différentes régions du pays.
Pour ce qui est de la référence des produits, on reproche également à l’INS de s’appuyer sur des modèles anciens, avec pour année de référence 2005. D’où une impérative actualisation s’impose. Il est, d’ailleurs, bon à savoir que l’INS relève 100.000 prix par mois, traités par une trentaine d’enquêteurs. En 2005 (encore), la moyenne de consommation par personne est de 2.037 dinars par an.
Les responsables du CNS indiquent que le Conseil compte intensifier sa communication envers la presse, les chercheurs, les universitaires, etc. Deux conférences sont déjà programmées en juin 2011 sur l’inflation et en juillet sur les partis politiques.