Honnête, égal à lui-même, sans prétention aucune et surtout sans cette agressivité verbale qui caractérise les hommes politiques, Mustapha Ben Jaafar, président du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDLT) inspire tout de suite confiance. Son profil de médecin, ancienne école, y est peut-être pour quelque chose. Son calme apparent que certains prennent pour un raffinement «excessif» est le signe d’une détermination que rien n’a pu briser depuis 1994, date de la création de son parti.
Celui qui croit dur comme fer que la justice sociale est capitale et qu’il est inadmissible que la santé soit à 2 ou trois vitesses a également figuré parmi les membres fondateurs de la Ligue tunisienne des Droits de l’homme, pionnière elle-même dans le monde arabe.
Deux jours après les événements du 14 janvier, rencontré au hasard devant un grand hôtel de la place, Mustapha Ben Jaafar exprimait sa prédisposition à intégrer le gouvernement Ghannouchi en tant que ministre pour, avait-il déclaré, «participer à préserver le pays qui passe par une période d’instabilité postrévolutionnaire sécuritaire et sociale après s’être débarrassé du dictateur».
Candidat sollicité pour le poste de ministre de la Santé, il déclara tout de suite après se retirer du gouvernement provisoire dirigé par Mohamed Ghannouchi. Plus tard, il expliquera sa décision, à l’occasion d’un petit déjeuner débat organisé par le Centre des jeunes dirigeants (CJD) au cours de ce mois de mai 2011, par le fait que Mohamed Ghannouchi voulait continuer à diriger le gouvernement en ne tenant compte que de ses propres appréciations: «L’ancien Premier ministre n’avait pas la détermination nécessaire pour tourner la page et cela s’est reflété dans la composition du gouvernement provisoire. On a décidé de donner les portefeuilles ministériels sans en référer directement aux concernés; mais pas seulement, on m’a nommé un secrétaire d’Etat contre lequel je n’ai rien, mais sans m’en parler auparavant. En somme, on entendait les informations à la télévision comme tout le monde»…
Pour le président du parti Attakattol, qui refuse des attitudes de «benalisme toiletté et maquillé», pareille posture était inadmissible et barrait la route à toute forme de dialogue ou de concertations dans un gouvernement sensé gérer une situation de crise et qui doit prendre en compte les avis et les opinions des autres.
«Agissements contre-révolutionnaires»
Chômage et emploi, une santé pour tous, un climat des affaires avec un Etat assez présent pour le préserver et une justice réellement indépendante veillant sur le respect de la loi en toute indépendance ainsi que l’investissement étranger… figurent parmi les grands axes qui seront défendus dans le programme économique et social d’Ettakattol. «Il y a des partis qui prétendent que l’investissement étranger n’est pas nécessaire pour le pays. Ils viennent d’une autre époque. Nous sommes conscients de son importance à condition qu’il soit réalisé dans le respect de la souveraineté nationale et dans un rapport de partenariat gagnant/gagnant impliquant un cahier des charges et surtout le respect des droits syndicaux. Pour nous, il ne faut exclure la composante de l’entreprise, il faut œuvrer et militer pour construire une entreprise citoyenne et éviter tout rapport conflictuel».
«Ce qui se passe dans les entreprises et dans la rue est contre-révolutionnaire, dénonce M. Ben Jaafar. Comment peut-on appartenir à un même pays, prétendre l’aimer et agir pour le détruire?, s’interroge-t-il. Pour sa part, il plaide pour «un véritable partenariat équilibré dans le respect des valeurs communes».
Pour ce, l’Etat doit jouer son rôle de stratège mais avant, il faut qu’il y ait l’élection de la Constituante pour légitimer son rôle. «Nous ne pouvons exiger d’un gouvernement transitoire de prendre des décisions qui engagent le pays pour des décennies. Ce sont des réformes structurelles dont a besoin la Tunisie, et c’est par la légitimité qu’elles peuvent réussir et s’imposer pour édifier la société de la citoyenneté et non celle des ségrégations».
Parlant du pardon et de la réconciliation, Mustapha Ben Jaafar a déclaré être contre la chasse aux sorcières, mais «nous prêchons pour une société apaisée et une réconciliation nationale. Toutefois, l’opinion publique a besoin de signes forts pour punir ceux jugés coupables de crimes à son encontre. Pourquoi la justice avance-t-elle plus rapidement en Egypte qu’en Tunisie?».
M. Ben Jaafar est optimiste quant à l’avenir de la Tunisie. «Depuis l’indépendance, nous avons tous les atouts de notre côté. Un Code du statut personnel (CSP) en avance sur certains pays occidentaux pour ne pas parler des pays arabes et musulmans, un enseignement qui figure -malgré ses insuffisances- parmi les plus performants et une ouverture d’esprit que beaucoup nous envient. La Tunisie réussira, j’en suis sûr, sa transition démocratique».