Entre autres effets de la Révolution du 14 janvier 2011, la naissance de
nouveaux titres dans la presse écrite, surtout les hebdomadaires et,
moindrement, les mensuels. Les titres ayant obtenu des visas s’élèvent, au
moins, à une vingtaine, dont quelques uns ont déjà vu le jour, les autres
attendant la manne de grands bailleurs de fonds pour s’installer, s’équiper et
sortir sur le marché. Premier constat: d’une part, des hommes de la plume qui,
sans assise financière même modeste, resteront à jamais dépendants de leurs
financiers; d’autre part, des industriels qui investissent, ou vont investir,
dans un secteur qui va à plus ou moins brève échéance s’essouffler –s’il ne
l’est pas déjà.
En face de cette course vers la création de journaux, on trouve les nouveaux
partis nés à la faveur de la Révolution: ils sont au nombre d’une bonne
soixantaine et, le plus naturellement du monde, presque par définition, un parti
a besoin d’un journal propre qui soit en quelque sorte son porte-parole. A
supposer maintenant que tous ces nouveaux partis soient capables de résister et
de survivre (en politique, on n’est jamais sûr de rien), le paysage médiatique
tunisien va donc connaître, au moins, soixante-dix nouveaux titres qui vont
s’ajouter à ceux existants et qui sont au nombre d’une vingtaine –sinon plus.
Donc, si tout va bien, le marché des journaux va en offrir dans les mois qui
viennent un total d’à peu près une centaine.
Or, ce n’est un secret pour personne que le média, de quelque support qu’il
soit, vit de publicité. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, on estimait le marché
de la publicité à environ cent millions de dinars. Ce marché faisait vivre
toutes les radios, toutes les chaînes de télévision et tous les journaux,
quelles que soient leur périodicité et leur importance. Certes, l’ATCE faisait
la pluie (pour les uns) et le beau temps (pour les autres). Il est vrai aussi
que la disparition de cette institution va changer le climat qui régnait
jusqu’au 13 janvier dernier, en ce sens que les annonceurs, publics et privés,
sont désormais libres de choisir le support qui sert le mieux leurs intérêts.
Sauf qu’il y a une donne qui reste, elle, inflexible, inchangeable, ou très peu.
C’est la tradition qui a fait naître chez nombre d’annonceurs un réflexe
quasiment automatique. Par exemple, le journal La Presse demeure, en dépit de
tout, indétrônable côté petites annonces comme côté publicité de grande
envergure (quart de page, demi page, pages entières). Vieux de 75 ans, ce
quotidien est par la force de l’âge l’adresse presque unique vers laquelle
s’acheminent toutes sortes d’annonces. Tout comme il y a aussi ces autres
journaux (hebdos ou quotidiens) qui ont pu fidéliser le long de leur histoire
des annonceurs qui assurent leur survie.
En revanche, un nouveau titre qui arrive sur le marché se doit d’abord d’avoir
son propre lectorat. Le marché de la publicité ne fonctionne pas avec les
sentiments, l’amitié ou le copinage, mais au vu du lectorat, de l’audimat.
L’industriel ou l’homme d’affaires le plus riche au monde ne peut pas vous
soutenir indéfiniment si vous n’intéressez qu’une poignée d’auditeurs, de
téléspectateurs ou de lecteurs, ce serait jeter de l’argent par la fenêtre.
Comment se profile donc l’avenir de ces nouveaux titres et de tous ceux qui vont
arriver? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est peu sûr. Car il y a un
autre facteur à prendre en considération: sur les 10,5 millions d’habitants que
compte la Tunisie (c’est un chiffre assez large), il y aurait combien de
lecteurs potentiels? Sans oublier l’autre facteur: les inconditionnels de la
presse étrangère (Le Monde, Le Figaro, Jeune Afrique, Le Point, L’Express, Le
Nouvel Observateur, etc.). C’est dire le caractère par trop sérieux de la
question: un nouveau titre va se positionner par rapport à l’ensemble de toutes
ces publications. Et ça, ce n’est pas un jeu d’enfants.