La fureur révolutionnaire l’emportera-t-elle sur la foi révolutionnaire? Entre les deux, un grand fossé s’est creusé. La fureur est par nature une colère sourde, aveugle, qui dénie tout recours à la raison, qui fait taire les sages et trace la voie au déclin. La foi est une mélodie enchantée qui s’engouffre dans les cœurs et prête serment à la sagesse. C’est par cet aspect même qu’elle préserve les principes et assure la persévérance face à l’avenir, aussi incertain soit-il. Mais c’est dans cette contradiction entre les deux notions que l’esprit révolutionnaire trace son chemin. Un chemin, certes long, mais qui ne doit pas laisser la fureur l’emporter sur la foi. Il y a là un danger imminent que les acquis de la révolution, dans ces premiers pas, soient anéantis, qu’ils perdent leur sens le plus profond.
La visite de sept ministres du gouvernement transitoire n’a pas manqué d’être houleuse, ce lundi 23 mai 2011. Elle a montré que la fureur n’a pas encore quitté le terrain. Ce gouvernorat, qui a connu le déclenchement de la révolution de la dignité, est certes l’un des plus défavorisés en Tunisie, qui enregistre un taux de chômage élevé parmi les diplômés du supérieur.
Une ambiance tendue…
Il est clair que cette visite officielle d’envergure est une visite de réconciliation. Une première pour Sidi Bouzid, pour témoigner de la gratitude pour les habitants de Sidi Bouzid qui ont été les premiers, durant la révolution tunisienne, à montrer aux peuples du monde qu’il n’est jamais trop tard de combattre la ²dictature. C’était aussi un premier pas vers la reconnaissance mutuelle.
Pour la plupart des journalistes qui ont accompagné la délégation ministérielle, c’était une première visite à Sidi Bouzid après la révolution. Une occasion de voir cette ville qui restera gravée dans les livres d’histoire de la Tunisie. On s’attendait aussi à un débat fructueux avec les ministres, qui relèverait les principaux problèmes de cette région et proposerait des voies de sortie.
La gestion du débat fut un exercice pénible, pour Ezzeddine Bach Chaouch, ministre de la Culture, qui a présidé la rencontre avec des représentants de la société civile et des habitants de la région. La salle était pleine à craquer comme on s’y attendait. Après s’être mis d’accord –ce n’était pas simple au début-, chaque ministre a présenté le plan d’action de son ministère pour le gouvernorat. Ce qui ne s’est pas passé sans quelques interruptions des présents dans la salle.
Une fois les présentations terminées, la prise de parole est devenue un sport national. Il fallait négocier à chaque fois la prise de paroles par les intervenants, dont les voies fusaient de toutes parts, sans la moindre organisation.
Des critiques houleuses…
C’est la ministre de la Santé, Habiba Ezzehi Ben Romdhane, aura été la plus critiquée. En effet, les intervenants ont estimé que le programme proposé par son ministère n’était pas assez suffisant pour améliorer l’hôpital de Sidi Bouzid. Le programme visait essentiellement à renforcer les équipements et à créer des services qui permettraient à l’établissement d’avoir les fonctionnalités d’un hôpital universitaire, en accueillant des médecins assistants et des résidents. La ministre a indiqué que 16 médecins spécialistes ont été recrutés dont six sont immédiatement opérationnels.
Le ministre de l’Enseignement supérieur non plus n’a pas été épargné, à cause de son programme qui prévoit la création d’un pôle technologique qui rassemblera des établissements universitaires, des entreprises et des projets de développement. Ce qui ne semble pas plaire à certains qui voudraient la création d’un campus universitaire, permettant de créer une dynamique structurelle dans le gouvernorat.
De son côté, Abderrazek Zouari, ministre de l’Industrie et de la Technologie, a affirmé qu’il est prévu la création de 3.000 emplois supplémentaires par la mise en place de projets industriels dans le secteur agroalimentaire, l’industrie électronique, le textile, l’industrie chimique, etc. Insuffisant et décalé, estime un intervenant pour qui il est impératif d’améliorer d’abord les infrastructures pour que les investisseurs osent venir à Sidi Bouzid et investir suffisamment pour son développement.
Dans le secteur de l’agriculture, on a évoqué la question des terres domaniales, qui sont estimées à plus de 40 mille à Sidi Bouzid. Une question qui sera tranchée, selon le ministre de l’Agriculture, par un décret d’application qui réglera leur propriété. Mais en tant que fils du la région, Mokhtar Jallali, a été longuement critiqué par les habitants de Sidi Bouzid.
Promouvoir Sidi Bouzid…
Ahmed, professeur de mathématiques, en chômage depuis sept ans, reproche le fait de voir en Sidi Bouzid une région agricole seulement. «Les banques sont réticentes à accorder des crédits pour les projets non agricoles surtout pour les habitants de la région alors que c’est plus facile pour les autres», signale-t-il. Parmi les revendications des habitants, la création d’un marché de gros pour faire de Sidi Bouzid une destination privilégié des commerçants. Ceux-ci sont contraints de se déplacer à Bir Kassâa pour vendre leurs produits alors que la région produit 20% des fruits et légumes en Tunisie», lance-t-il.
Par ailleurs, le ministre du Développement régional, Abderrazek Zouari, a fait part de sa solidarité avec les régions. Pour Sidi Bouzid, il annonce un budget d’environ 90 MDT.
En somme un débat assez houleux… Ce qui est compréhensible dans une région qui fut longtemps marginalisée. Mais il est primordial que, dans cette période cruciale, qu’on n’oublie la voie de la raison. Il faut dire que, des critiques envers un gouvernement, on y était pas habitué. Un exercice démocratique qui prépare notre avenir mais qui doit être bien raisonné pour pouvoir contribuer à la construction de notre Tunisie.
Il ne s’agit pas d’une question de personnes mais d’un pays. Aussi provisoire soit-il, ce gouvernement ne saura et ne pourra concrétiser toutes nos aspirations de développement et de progrès. La révolution a eu l’avantage de nous rendre notre dignité. Ne laissons pas la discorde nous la reprendre.