Après la publication par WMC d‘un article sur les problèmes que rencontrent les agences de voyage tunisiennes, la Société nationale des services de résidences “SNR”, ex-Montazah Gammarth, nous a contactés pour faire “une mise au point“. Au siège de la société, l’accueil est courtois, le ton apaisé, et le verbe un peu “désolé“ et frôle l’accusation à l’égard à la fois de certaines agences de voyage mais aussi des médias.
Pour entamer la discussion, on a eu droit tout d’abord à une véritable leçon d’histoire de la part de M. Abdel Hakim Bouladi, directeur adjoint de la SNR, qui nous a affirmé que «la Omra n’était pas une tradition chez les Tunisiens, jusque dans les années 80. Les Tunisiens voyageaient plutôt dans les pays d’Europe», l’obtention de visa n’étant pas difficile à l’époque.
Petit à petit, les choses en matière de visas se corsèrent dans ces pays, ce qui poussa les Tunisiens à regarder du côté de la Turquie et du Royaume des Saoudes. Et pour l’Arabie Saoudite, c’était presque comme une aubaine qui se présentait aux Tunisiens: D’une part ils faisaient la Omra et/ou le pèlerinage, et d’un autre côté ils en profitaient pour faire du shopping.
1992. C’est sans doute cette date qui bouleversera en partie la donne. En effet, lors d’un sommet des dirigeants maghrébins à Tunis en 1992, nous raconte M. Bouladi, le roi Hassan II avait failli loger dans son bateau car on lui avait proposé une villa qui ne lui convenait pas. Cela aurait donc profondément marqué Ben Ali qui, quelques années plus tard, ordonna, lors d’un conseil ministériel, le changement du nom de la Société hôtelière et touristique de Tunisie (SHTT, créée en 1959) en Montazah Gammarth dont le rôle est de construire des résidences pour les hôtes de marque de la Tunisie. On nous précisera également que, parallèlement, la SHTT possédait une filiale, Tour Afric, qui fut chargée en 1985 de centraliser l’organisation du pèlerinage des Tunisiens en Arabie Saoudite (transport et hébergement); tâche qu’elle assura jusqu’en 1998, l’année à laquelle elle commença à rencontrer des difficultés financières.
En 1998 le pèlerinage et la Omra ont été confiés à Montazah Gammarth, tâche qui s’ajoute à celle de la gestion des résidences des hôtes de marque de l’Etat tunisien.
Plus tard, Montazah Gammarth devient la “Société des services nationaux et des résidences” (SNR), placée sous la tutelle du secrétariat général de la présidence de la République. Et cette gestion directe de la SNR par le palais présidentiel a toujours été dénoncée –en sourdine bien entendu- par la profession des agents de voyage. Avec la chute de Ben Ali et de son régime, entraînant avec eux toutes les peurs, les agences de voyage montrent leur opposition à travailler avec “une société qui s’est fait trop d’argent sur leur dos“.
Ce qu’on réfute naturellement à la SNR. «Ce qui nous a touchés, nous employés et cadres au sein de la SNR, c’est le fait que des agences de voyage mais aussi des médias affirment que la SNR était contrôlée par les Trabelsi. Ce qui est totalement faux», s’insurge M. Bouladi.
Soit. Cependant, certaines agences de voyage s’estiment aptes à voler de leurs propres ailes, et réclament la libéralisation du pèlerinage et de la Omra, voire la disparition pure et simple de la SNR. Sur ce point, à la SNR on indique que les agences de voyage n’avaient pas été à la hauteur avant 1998, lorsqu’elles assuraient l’opération de la Omra et du pèlerinage, de bout en bout de la chaîne. Ensuite, les agences de voyage n’ont jamais été écartées de la chaîne, précise-t-on: la SNR prend en charge l’hébergement et le transport terrestre en Arabie Saoudite, et le transport aérien est assuré par les agences de voyage. En plus, la SNR accorde aux Agences de voyage une commission de 13% plus une remise de 4% au titre de la gratuité d’hébergement et de transport pour le chef de groupe.
Toujours pour contrer la velléité d’indépendance de certaines agences de voyage, à la SNR on affirme que non seulement plus de 150 agences ont signé avec elle pour cette année, et que rien ne prouve qu’en libéralisant les prix vont baisser. «Ici on serre la ceinture et on exige beaucoup du partenaire saoudien pour que les prix soient le plus abordables possible pour le Tunisie».
Autre argument avancé par la direction de la SNR, c’est le fait que, depuis 1998, date à laquelle la SNR a été chargée de la Omra, celle-ci ait réussi à convaincre les Saoudiens d’accepter le payement en dinars tunisiens. «Et au cours des 5 dernières années, on a réussi à atteindre le taux de 100%».
Pour cette année 2011, la SNR a changé de partenaire (saoudien) sur la base d’un paiement en dinar à hauteur de 50% du montant; malgré tout, la BCT considère que cette disposition constitue un acquis national. Donc à sauvegarder.
Enfin, Tarak Bahri nous a affirmé que dès sa nomination à la tête de la SNR, en décembre 2010, il a engagé des consultations visant à établir un diagnostic du secteur, et qu’un bureau d’études sera bientôt désigné pour le faire.
Que retenir de tout ça?
Premièrement, la direction de la SNR estime que cette société assure un service public, et donc sa privatisation ne doit pas se décider de façon précipitée.
Deuxièmement, le bureau d’études qui sera choisi aura pour mission de faire une étude comparative avec les pays similaires à la Tunisie, et de proposer un ou des scénarios complets (financier, quantitatif…). Ensuite, les résultats de cette étude seront soumis aux autorités de tutelle qui prendront la ou les décisions qui s’imposent.
Troisièmement, conséquence de ce qui précède, la direction de la SNR ne veut pas lâcher prise: pas de privatisation, encore moins de dissolution… pour l’instant en tout cas. Autant dire que la guerre entre cette société “étatique“ et les agences de voyage n’est pas finie.