Pouvons-nous parler de transparence dans un pays où la corruption systémique et le clientélisme ont gangrené l’appareil de l’Etat pendant 23 ans? Une question parmi d’autres à laquelle les participants à la conférence internationale sur la transparence financière et économique, organisée mercredi 25 mai par Webmanagercenter et le CJD (Centre des jeunes dirigeants) et animée par Moez el Joudi, universitaire, ont essayé de répondre tant bien que mal.
Comme on le dit si bien chez nous «illi yisrak yighlab ill yhahi» (le voleur finit toujours par venir à bout de la vigilance des plus attentifs). C’est aggravé par le fait même que la «fraude» dans ses différents niveaux est presque culturelle chez nous comme l’a mentionné Abdessatar Mabkhout, professeur universitaire et associé PriceWaterhouseCoopers: «Il y a un grand problème tuniso-tunisien de transparence et à tous les niveaux, tout doit être caché; nous sommes foncièrement anti-transparents…». Pourtant les lois existent…
«Les Tunisiens sont devenus les champions du monde de l’arsenal juridique, nous avions toutes les lois pouvant assurer la bonne gouvernance et nous avons même une loi contre le blanchiment d’argent», a indiqué Fadhel Abdlekéfi, président du Conseil d’Administration de la Bourse de Valeurs de Tunis, qui a attiré l’attention sur l’importance du marché financier dans le développement de la transparence. «Une société cotée en Bourse se doit d’avoir une gestion transparente et d’être dotée de tous les ingrédients d’une bonne gouvernance. La Tunisie a, il est vrai, connu une époque difficile dans laquelle la titrisation des chiffres de l’Etat a constitué un sport collectif des gouvernements qui se sont succédé. Il n’empêche, nous avons tendance à trop noircir le tableau, car pendant les dernières 23 années, il y a des entreprises qui ont travaillé honnêtement dans un climat d’affaires détestable…», a tenu à préciser Fadhel Abdelkéfi.
Absence d’application des lois, failles dans la règlementation? «Il est grand temps de faire le point pour que l’économie tunisienne soit transparente et créatrice de richesses», a déclaré Ezzeddine Saïdane, Expert économique et financier (Directway Consulting) en rappelant quelques chiffres. On avait annoncé 3,1% de croissance économique en 2009, en pleine crise financière et économique internationale dans une Tunisie où il y avait un miracle économique. «Il y avait de la croissance, quelques réalisations mais pas de miracle. C’était tout simplement de la désinformation pour nous obliger à tolérer l’absence des libertés et la confiscation de tous les pouvoirs par l’ancien président, et en premier lieu supprimer les réglementations et installer l’arsenal nécessaire pour que la corruption et les malversations soient la règle et non l’exception».
Concernant la dette extérieure, les chiffres cachaient pendant plus de 10 ans l’absence d’investissement, et donc une quasi absence d’importations de biens d’équipements, a précisé M. Saïdane. L’investissement était à 24% et en panne parce qu’il n’était pas forcément productif, il était spéculatif non créateur de richesses pour la population et pour l’économie. Le taux d’épargne a baissé à 22% alors qu’il était de 24%, et on n’a pas géré le taux d’intérêt et la parité du dinar tunisien dans l’intérêt de l’économie, affirme M. Saïdane.
3,5 milliards de dinars pris sur le marché financier et bancaire
La gestion opaque et improductive a engendré un déficit de l’Etat, elle a aussi favorisé certaines familles et alliés qui ont profité du système de manière aberrante. «Aujourd’hui, nous pouvons nous hasarder à dire que les prêts accordés, à ces familles, par les banques et institutions financières, ont atteint presque les 3,5 milliards de dinars… Nos systèmes de mesure n’étaient plus faits pour mesurer mais “sur-mesure“, ce qui veut dire pour plaire…». Toutefois, il est urgent de «commencer par savoir ce qui doit changer en nous d’abord pour pouvoir reconstruire le pays sur des bases solides. Mais il faudrait alors reconnaître que, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas d’instruments juridiques ou constitutionnels garantissant le non retour à la dictature. Il va falloir que notre pays s’en dote».
Il aurait fallu tout d’abord, comme l’a bien spécifié M. Mabkhout, et depuis belle lurette, séparer l’Etat -puissance publique- et l’Etat –actionnaire- pour garantir plus de clarté au niveau des pratiques et des décisions prises par les hauts responsables. Tout était transversalement intégré dans la Tunisie de la première République, y compris le système judiciaire. L’argent public a toujours été mal utilisé et les exemples en sont légion.
Aucun secteur d’activité n’a échappé à la corruption, nos institutions ont été sciemment affaiblies, les organisations de la société civile, dans leur grande majorité, minées, peu efficientes et asservies, et les médias, pas assez puissants pour faire face aux dérapages, en les dénonçant et en les condamnant.
La transparence ne se décrète pas, elle se mérite, et appelle un travail de longue haleine à tous les niveaux, et je dirais même, tout terrain, elle nécessite beaucoup de patience et un long apprentissage pour s’ériger en culture. Il ne dépend que de nous d’arriver à instaurer de nouvelles traditions de bonne gouvernance dans nos entreprises, nos administrations et toutes les structures, tous les organismes privés et publics du pays. Comment?
«C’est en restructurant», répond Me Chiheb El Ghazouani, Universitaire et associé du Cabinet Ghazouani. Sur le plan juridique, les lois tunisiennes, si elles s’appliquaient, produiraient toutes les conditions d’un climat économique transparent et égalitaire. «La loi sur la corruption n’a jamais été appliquée sur un commis de l’Etat, à part Mzali, les lois pour la transparence des marchés publics, une loi qui réglemente les marchés publics modifiés à 9 reprises pour assurer une meilleure transparence sans succès. La loi sur la concurrence et les prix sanctionne toutes les ententes, les comportements anticoncurrentiels, mais a-t-elle déjà été adoptée contre les clans mafieux sans oublier le code des assurances qui sanctionne lourdement les fraudes à l’assurance dont l’application est douteuse et la loi qui réglemente les marchés financiers qui n’a jamais sanctionné de société cotée»…
Plus jamais ça! Plus jamais d’opacité et de corruption pour régenter l’exercice des transactions économiques du pouvoir politique et celui de notre administration.
Comment réussir le pari de réduire la corruption et le népotisme?
Une tentative de réponse, dans un prochain article, à propos du rôle joué par les NTIC dans la transparence financière ainsi que celui de la société civile avec l’exemple de «Transparency International».