Partout où vous allez, partout où vous êtes, à pied, en voiture, à la sortie de votre résidence, dans un parking, dans la rue, dans une gare…, vous êtes interpellés, de nuit comme de jour, par une armada de mendiants agressifs et collants qui cherchent, par tous les moyens, parfois jusqu’à vous harceler, pour vous soutirer soit de l’argent soit un quelconque produit si jamais vous êtes au marché ou vous sortez d’un supermarché ou d’autres locaux commerciaux.
Ce peuple de gueux en haillons est composé de jeunes munis d’un chiffon ou d’un sifflet, de vieux grincheux, de femmes transportant des bébés loués pour la circonstance, de handicapés de toutes sortes, d’accidentés de voiture (mutilés et autres…), d’anciens détenus, de faux prédicateurs qui vendent de faux tickets pour la construction de mosquée, de faux pères bien habillés accompagnés de jeunes enfants prétextant ne pas disposer de la somme requise pour rentrer à Sidi Bouzid, une région devenue, ces jours-ci, un argument de vente pour les mendiants.
Ils squattent tous les carrefours des quartiers riches et se partagent toutes les voies qui y mènent dans un ordre parfait. Aucun gueux n’empiète sur le territoire de l’autre. Les marcheurs des Berges du Lac, dès qu’ils sont esseulés, sont pris à partie, par des jeunes mendiants de vingt ans et plus, ceux-là bien organisés et apparemment bien quadrillés et aiguillonnés par des personnes louches, tapies dans des voitures ou assises sur les bancs. Les victimes sont surtout les femmes et les couples.
C’est pour dire que le phénomène de la mendicité prend une telle ampleur que le Tunisien a de plus en plus tendance à réduire au minimum ses déplacements et ses sorties en ville. L’objectif est d’éviter d’être au mauvais moment et au mauvais endroit d’autant plus que ces bataillons de gueux essayent de tirer au maximum profit de l’impunité que leur procure, actuellement, la révolution. La police ne pouvant intervenir de peur de provoquer l’ire de ces excroissances humaines, voire d’éventuelles émeutes de mendiants qui, en plus, n’ont rien à perdre.
Parfaitement persuadés que cette situation ne va pas durer, longtemps, ces gueux, en fins stratèges, s’emploient à faire le plein. Et comment? Selon l’un d’entre eux qui a voulu garder l’anonymat, les recettes journalières varient entre 50 et 100 dinars. La preuve, ces gueux prennent des taxis pour rentrer ou pour venir au lieu de leur mendicité.
Est-il besoin de rappeler, ici, que la mendicité en Tunisie est retenue comme un délit. Tout gueux découvert en flagrant délit peut écoper de 6 mois de prison. Cette peine est aggravée dans deux cas, lorsque la mendiante ou le mendiant utilise des bébés ou enfants pour apitoyer les donateurs et lorsque le mendiant évolue dans le cadre d’un réseau.
Consciente de la mauvaise image que peut donner ce phénomène de la Tunisie et de l’enjeu de le circonscrire, l’administration, en l’occurrence le département des Affaires sociales a mené, en 2007 et 2010, deux études sur la gueuserie en Tunisie. Il en ressort, sur un échantillon moyen de 1.210 mendiants sondés, 97% se sont avérés «des escrocs», «bien des escrocs». Autres révélations de ces études: 65% d’entre eux bénéficient de la couverture sociale, 35% des vieux, 10 à 15% sont des enfants et handicapés, 63% sont des professionnels de la mendicité, c’est-à -dire des personnes qui font de l’aumône leur principale activité.
Sur la base des conclusions de ces études, une assistance multidimensuelle (carnets de soins, pensions…) a été fournie aux mendiants identifiés, mais au regard du nombre de plus en plus élevé du peuple des gueux, il semble que les recettes de l’aumône soit fort loin plus intéressantes.