En affirmant lors d’une conférence de presse au lendemain du 14 janvier que s’il ne remettait pas le tourisme tunisien sur pied en 4 semaines, il partirait, Mehdi Houas ne se doutait pas qu’il allait surfer sur la même mauvaise vague que l’ensemble d’un secteur qui dépérit. Il ne reste plus qu’à se demander pendant combien de temps encore avant de plonger ?
Dans la profession, les dents grincent, les factures s’amoncellent, le personnel est tendu et des dizaines de milliers d’emplois se sentent menacés. Les plus enthousiastes disaient qu’on ne peut faire une révolution et sauver une saison. Tout le monde s’y était presque fait à un détail près. L’une des principales revendications de la révolution est la dignité que procure le travail. Le secteur, aujourd’hui fortement menacé, retient sa respiration ou son souffle! Combien d’emplois va-t-il perdre à l’heure où la Tunisie avance à pas de géants vers les 700.000 chômeurs et où l’on découvre que près du quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté?
Originaires des régions défavorisées du pays, nombre d’employés du secteur du tourisme sont des soutiens aux familles restées dans les régions. D’une manière ou d’autre autre, ils arrivaient à faire face aux grandes dépenses. «Cette année ce sera très dur pour toute la famille. Pour nous et pour ceux qui sont à l’intérieur. Nous nous rendons compte que l’année sera blanche. Comment allons-nous tous tenir jusqu’à la saison prochaine? Comment allons-nous survivre?», dit Mohamed, inquiet et désolé d’avoir été obligé d’annuler le mariage de sa jeune sœur.
L’impact d’une saison morose sape le moral et pèse déjà sur les portemonnaies. Les questions tombent en cascade: Quid des Algériens? Les Tunisiens résidents à l’étranger (TRE) viendront-ils en masse cet été? Les tarifs sont-ils seulement étudiés à cet effet? Le marché local se mobilisera-il malgré le Ramadan et une situation -sécuritaire, économique et politique- instable? Le marché italien, amateur de haute saison, a-t-il encore les moyens de mettre en place une programmation? Les effets Lampedusa sont-ils passés? De tous les marchés émetteurs, pourquoi seuls les Français profitent d’attentions et de moyens avec des messages publicitaires conçus spécialement pour eux et sans prendre en compte les spécificités culturelles des autres pays européens? Investir sur des marchés plus réactifs aurait-il pu être une voie à creuser? Investir dans la mise à niveau du secteur et du tourisme intérieur, de proximité et régional, n’aurait-il pas été plus pertinent? La campagne de communication a-t-elle eu de l’impact? L’humour français aurait-il pu être généralisé à toute l’Europe?
Un ministre qui gère sans gérer…
Il va de soit que tous les regards se tournent vers Mehdi Houas, ministre du Tourisme et du Commerce. Alors que certains se demandent comment, en pareille situation, il peut gérer deux ministères clefs, celui-ci ne cesse ses allers et venues, multipliant voyages et interventions auprès des médias. Il avance inlassablement les mêmes propos enthousiastes qui font grincer les dents de beaucoup de ses compatriotes et auxquels les marchés émetteurs ne semblent pas très sensibles. Au vu des indicateurs, même un miracle en bonus du sourire de notre jeune ministre pourra très difficilement sauver l’été 2011!
Depuis quelques temps, les propos optimistes du ministre du Tourisme sont jugés intolérables et frisent le ridicule. La situation ne mérite-t-elle pas davantage de discernement et de concertation? Un ministre du Tourisme qui ne s’en tient qu’à la dimension promotionnelle de sa tâche peut-il faire face à autant d’attentes et de responsabilités? Un ministre n’est pas qu’un VRP surtout en temps de crise!
Dans la profession, on devient carrément allergique aux déclarations du ministre du Tourisme. Pour le président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH), Mohamed Beljouza, la situation est alarmante. «De quoi parle-t-on? Le secteur est atteint d’une sinistrose gravissime. Le tourisme n’a jamais été aussi mal et la situation va en s’empirant. La profession ne trouve pas de vis-à-vis à qui s’adresser et l’administration semble démantelée. Le ministre n’a aucunement porté secours à la profession, et le secteur n’a pas bénéficié des avantages accordés à l’industrie ou à l’agriculture. Jusqu’à maintenant, il y a eu des initiatives dont beaucoup se sont avérées infructueuses. Comble de malchance ou mauvaise approche! Les faits sont là. A ce train là, nous coulons».
Si elles venaient à se confirmer, le report des élections va aussi plomber l’après-saison sur laquelle certains fondaient quelques minces espoirs. Tous redoutent que le secteur se retrouve, 9 mois et 60 millions de dinars après la révolution, dans le même marasme. Pire encore. Le tourisme tunisien serait-il en train de sombrer dans une situation de faillite, à moins que l’on ne considère qu’il y soit déjà et depuis longtemps!
Même si les plus optimistes estiment que cette crise va purger le secteur, se réjouissant que ne restent ceux qui ont les reins solides et les vrais professionnels prévoyants, ils omettent de préciser qu’il ne s’agit pas seulement d’une saison ratée. Les techniciens savent, dans le meilleur des cas, que ce sont au moins trois ans extrêmement difficiles qu’il va falloir affronter.
D’ailleurs, les propos maladroitement optimistes de notre ministre insolite et ceux brutalement alarmistes du patron de la profession grincheuse sont précisément témoins du paradoxe que vit le tourisme tunisien. Afin que le secteur fasse sa révolution, il faudrait que ces deux parties parviennent un jour ou l’autre à s’entendre. A moins que la première ne disparaisse au profit de la seconde, plus structurée, autonome et efficace. Une vraie mutation en perspective.
Pour le moment, nous en sommes loin. A ce jour, les dossiers avancent peu ou pas. Les équipes de l’administration sont démotivées voire exaspérées, les privés inquiets voire crispés et le reste des secteurs, qui interagissent avec le tourisme, pantois!
Pourquoi s’entêter à promouvoir alors que l’on observe sur le terrain une ambiance plombée par des grèves, des revendications sociales et un climat de tension et d’insécurité? Entre les services catering de Tunisair, la situation aux différents aéroports du pays, les grèves, l’ambiance dans les villes touristiques, on en vient à se demander pourquoi on continue à dépenser de l’argent pour faire venir des touristes avec des risques supplémentaires de mécontentements.
A ce paysage préoccupant se greffe une menace terroriste qu’il ne faut ni amplifier ni banaliser. Des mesures de contrôle ont été mises en place. Sont-elles systématisées? La profession est-elle sensibilisée à cela? Prévoit-on une campagne de communication spécifique pour rassurer les partenaires? Sans chercher à faire les oiseaux de mauvais augure, il est impératif de réfléchir à une communication adéquate pour ne pas encore faire les frais de la mauvaise gestion des crises. Une communication que nous n’avons jamais su faire et qui nous a toujours coûté cher. L’attentat de Djerba a emporté avec lui la moitié d’un million de touristes allemands qui, à ce jour, n’ont plus été réconciliés avec la destination Tunisie.
Pour le moment et pour revenir à un registre plus léger, il ne reste plus qu’à s’inspirer de Mehdi Houas, surtout quand il assure son «Oneman show». Alors qu’il est interrogé à Alger sur les garanties de sécurité offertes aux touristes, le ministre, «en se voulant rassurant sur le plan sécuritaire, s’est autorisé à plaisanter en se démarquant d’éventuels vols de sacs à main mais, a-t-il assuré, tout ira bien en matière de sécurité physique». Espérons-le! C’est en tous cas ce que reprend en masse la presse algérienne.
Fort de 60 millions de dinars et d’une situation révolutionnaire, il est important pour la survie du tourisme tunisien de trouver des solutions à la bonne heure même si la bonne humeur n’y est plus. Ce n’est qu’en ressoudant les équipes et en s’entourant de tous les intervenants du secteur qu’il reste encore peut-être une chance de trouver des solutions. La conjugaison des efforts pourrait favoriser de nouvelles perspectives. Reste à savoir si un ministre, qui n’est pas au fait des réalités du pays dans une conjoncture aussi difficile, peut y parvenir.