Les sondages, qui fleurissent depuis le 14 janvier 2011, ne détermineront pas
les intentions réelles de vote. Les réalités du terrain ont souvent contredit
nombre de sondeurs. Le sondage n’étant –au mieux- qu’une photographie à un
moment précis. C’est dire que rien n’est gagné d’avance.
On prête au général américain Douglas Macarthur (26 janvier 1880 – 5 avril
1964), l’homme qui a dirigé la défense de l’Australie et la reconquête de la
Nouvelle-Guinée, des Philippines et de Bornéo, et qui fut responsable de
l’occupation du Japon de 1945 à 1951, cette déclaration, qui ne pouvait sortir
que de la bouche d’un militaire: «Il n’y a de vérité que celle du terrain. Une
guerre n’est jamais gagnée devant une carte d’Etat major. Elle est toujours
gagnée sur le terrain lorsque deux armées se font face».
Cette déclaration, faite au plus fort de la guerre de Corée, en 1951, est
souvent reprise par de nombreux hommes politiques, qui savent que tout se joue
sur le terrain lorsque l’on va à la rencontre de l’électeur. «La guerre»
n’est-elle pas, du reste, selon le théoricien prussien Karl Philip Gottfried von
Clausewitz (1780-1831), «qu’un
prolongement de la politique par d’autres moyens?»
Que dire, dans ces conditions, des sondages qui fleurissent, depuis quelque
temps, en Tunisie, accordant à ce mouvement ou à l’autre une part plus ou moins
importante des intentions de vote. Faut-il, à ce propos, croire aux sondages? La
question a fait l’objet, en France, il y a quelques années, d’un ouvrage de
référence, écrit par deux éminents universitaires français, qui a montré les
limites des instituts de sondages. (1)
Vous avez dit terrain? Exactement car, les réalités du terrain ont souvent
contredit nombre de sondeurs. Le sondage n’étant –au mieux- qu’une photographie
à un moment précis. Sans oublier que les résultats peuvent être biaisés, entre
autres, selon la méthodologie utilisée (mode de tirage dit aléatoire ou par
quota) et la formulation des questions.
Changements en fonction de l’évolution des données sur le terrain
Passons! Les intentions de vote peuvent, en effet, changer en fonction de
l’évolution des données sur le terrain. Emanuel Rivière et Nicholas Hubé
évoquent dans leur ouvrage, par exemple, comment l’ancien Premier ministre
français, Edouard Balladur, donné vainqueur, en 1995, avec 68% des voix à
l’élection présidentielle a chuté, quelques semaines avant le premier tour de
cette élection, avec l’annonce de la candidature de l’ancien Président de la
République, Jacques Chirac, et la capacité de ce dernier à mobiliser l’appareil
du parti dont il était le président, le RPR (Rassemblement Pour la République).
Edouard Balladur n’a même pas figuré au second tour au cours duquel le président
Chirac a affronté le socialiste Lionel Jospin.
Mais l’exemple, sans doute le plus symptomatique, des «égarements» des sondages
reste celui de l’élection à la présidence de la République des Etats-Unis
d’Amérique, en 1948, de Harry Truman face à Thomas Dewey, donné pourtant
vainqueur par tous les instituts de sondages. Un journal américain, le très
sérieux Chicago Daily Tribune annonçait même, le lendemain de cette élection, et
en première page, la défaite de Truman face à Dewey.
Les faits ont montré, à ce propos, qu’un comportement ou une phrase de trop
peuvent tout faire basculer. On se souvient du cas de l’avocat américain, Garry
Hart, grand favori en 1988, pour l’investiture du parti démocrate, aux USA, qui
dut se retirer de la course à la suite d’un scandale sur sa vie privée.
L’argent pèsera de tout son poids
La campagne électorale pour l’élection de la Constituante et les jours qui la
précéderont peuvent même être déterminants de ce côté pour des candidats aux
yeux de l’opinion. On le voit déjà avec les différentes interventions notamment
à la télévision qui sont à manier avec rigueur et… précaution. La télévision est
par excellence un média froid (dixit le philosophe des médias, Marshall
Macluhan) «qui s’adresse à plusieurs sens et est plutôt pauvre. Elle demande de
la part du récepteur une participation très importante pour compenser cette
pauvreté». (2)
Pour Marshall Macluhan, «l’image de télévision a, en effet, assuré la suprématie
du contour embrouillé et flou, qui est le stimulant par excellence de la
croissance et de l’établissement de nouvelles structures de perception, en
particulier dans une culture de consommation basée depuis longtemps sur des
valeurs visuelles nettes, isolément de tous les autres sens».
C’est dire que rien n’est gagné d’avance. Tout dépendra, pour beaucoup, des
programmes des candidats et de la capacité de les expliquer et à assurer
l’adhésion des Tunisiens autour d’eux. Comme de la conduite de la campagne
électorale, de la perception qui sera faite des candidats par les médias –mais
pas seulement eux-, de l’engagement des réseaux d’influence existants ou à
introduire au sein des groupes de référence (familles et collectivités de
travail…) et, évidemment, de l’argent qui pèsera, quelles qu’en soient les
précautions prises, et quoi qu’on dise, de tout son poids.
(1) Emanuel Rivière et Nicholas Hubé, Faut-il croire les sondages ?, Paris :
Editions Prométhée, 2008.
(2) Marshall Macluhan, Pour comprendre les médias, Paris : Editions du Seuil,
1968.
Prochain article : Les variables qui influenceront l’élection des Tunisiens