Assimilé chez une bonne partie de l’intelligentsia tunisienne et du bon peuple des banlieues périphériques populeuses de la capitale à la coercition, à la répression et à l’arbitraire, le ministère de l’Intérieur, qui s’est infiltré à tous les étages de la société depuis les débuts de l’ordre issu du 7 novembre 1987, a pâti de cette réputation après le triomphe de la révolution de la liberté et de la dignité. Des têtes sont tombées. De hauts cadres mis en examen. D’autres ont pris le chemin de la retraite. Mais la diabolisation est tenace. La rancune est persistante. La rumeur encore vive. Et la méfiance est de rigueur. Le passé n’arrive pas à passer. En dépit d’un mea culpa solennel d’une police, assure une source syndicale au ministère de l’Intérieur, désireuse de tourner la page douloureuse de deux décennies d’exactions, de servir la nouvelle République en gestation, de sortir du champ partisan, porteur de discordes, de gagner les cœurs et la bataille résurrectionnelle et de fournir, à l’occasion des prochaines élections de la Constituante, des gages aux citoyens tunisiens en guise d’un contrat moral fondateur.
«Il faut à tout prix œuvrer à la réconciliation et au rétablissement de la confiance entre la société et l’ensemble du personnel du ministère de l’Intérieur afin de préserver la paix sociale, d’éradiquer les zones de non droit, qui ont proliféré après le 14 janvier, de retisser des liens, mis à mal pendant les années de braise, d’enserrer toutes les forces vives du pays dans le processus démocratique en cours, de contribuer au retour de l’autorité de l’Etat et de se donner des leviers efficaces liés aux échéances électorales futures», nous dit M. Aissa Baccouche, sociologue de renom et ancien secrétaire général de l’UGET des années soixante, qui considère l’apport de la police nationale à la sécurisation des citoyens, des 7.000 bureaux de vote, des centres de dépouillement et de toute la logistique dédiée à l’opération électorale comme la condition sine qua non du bon déroulement d’une Constituante, aujourd’hui encore l’objet de plusieurs controverses au sein de la classe politique tunisienne.
Au fait, déclare un observateur de la scène politique locale, il ne faut pas passer de l’autre côté du cheval, les membres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, issue du Haut comité pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, tout en demeurant intraitables sur leurs prérogatives, doivent rompre avec les postures oppositionnelles de principe, cesser de nourrir gratuitement le clash avec une administration, qui a su garder le cap au milieu de toutes les bourrasques et développer plutôt un discours serein, fédérateur et rassurant vis-à -vis du personnel de la fonction publique (Premier ministère, l’Intérieur, l’Education…), désormais partenaire dans la phase électorale en cours. Car les invectives sont toujours déstabilisantes. Or, chacun d’entre nous est détenteur d’une parcelle de l’intérêt national. De la position de l’autre. De son influence. De sa dynamique. Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités, disait le Général De Gaulle.
Finalement, après avoir ciblé et mis hors d’état de nuire les principaux concepteurs de la stratégie répressive des années de plomb, le gouvernement provisoire doit sensibiliser les acteurs de la société civile, chargés de mener la barque électorale à bon port, aux bienfaits de la pédagogie. Des relations de négociation. De la flexibilité. Du compromis. Vis-à -vis d’une corporation écorchée vive, de tout temps sous le marteau de la hiérarchie et l’enclume du peuple. Et qui entend aujourd’hui se racheter à tout prix. Dans la dignité. La responsabilité. Le dépassement. Car les interdépendances sont tout simplement trop nombreuses dans notre société pour que chacun puisse mener sa barque tout seul.
L’une des tâches essentielles de la transition démocratique et de la démocratie politique, disait Mandela, après la fin de l’Apartheid, consiste dans la médiation entre «l’héritage du passé», «les priorités du présent» et «les défis de l’avenir».