La question de la dette s’est invitée dans le débat public. La profusion des commentaires qui s’en est suivie a noyé le débat. En la matière, il faut observer une méthodologie. On ne peut traiter le problème de la dette avec du simple bon sens. En l’occurrence, on doit user de technicité et surtout arrêter une stratégie. On ne doit pas léser le débiteur. Il y va de la qualité de notre signature. Souvenons-nous que les marchés nous font confiance. Notre marge de taux était plus clémente que celle de l’Espagne ou de la Grèce. En peu de temps, la Tunisie a pu émettre des obligations sur «trente ans», privilège des pays à la solvabilité reconnue. Notre crédit national est donc en jeu. Il nous en coûterait de prendre nos distances avec la bonne éthique.
Mais d’un autre côté, une partie de la dette nous a été ravie, détournée par l’ancien régime. Nous nous retrouvons redevables d’une dette qui nous a été détournée. Comment plaider dès lors?
Suffit-il de déclarer la dette odieuse
Jusque-là deux attitudes ont émergé. La première consistait à déclarer la dette «odieuse». Considérant que les bailleurs de fonds fermaient les yeux sur les malversations de l’ancien régime, on peut donc les «blouser». Mais, c’est aller vite en besogne. Les pouvoirs savaient, cela est plausible. On peut penser que dans la mesure où une partie des fonds retournaient dans leurs pays, ils s’en accommodaient et ne faisaient rien pour l’empêcher. Mais les souscripteurs sont-ils coupables pour autant? Il faut se rappeler que la dette souveraine de la Tunisie était si bien cotée que parfois les maisons de titres parvenaient à la placer auprès des petits épargnants. Donc «carboniser» de l’épargne de ménage ne serait pas une attitude défendable et cela ne nous ressemble pas. Nous sommes très au-dessus de ces pratiques.
L’autre voie est, dirions-nous, traditionnelle. C’est celle de la reconversion de la dette en projets d’intégration régionale. En effet, elle est très utilisée et c’est sans doute une voie à explorer. Il faut s’y activer dès à présent.
Une troisième voie est possible. Mais il faut l’explorer pour bien la formaliser.
Faire un transfert de jurisprudence
L’on s’interroge à l’heure actuelle sur la rationalité de transposer les usages et pratiques ayant cours entre banquiers et leurs clients dans les relations entre un Etat et ses bailleurs de fonds. Dans quelle mesure le corpus des recours, actions et arrangements du droit privé peuvent-ils faire jurisprudence pour un Etat dans ses rapports avec les institutionnels internationaux? On se demande dans quelle mesure un Etat, lésé par ses dirigeants comme l’a été la Tunisie, ou mal conseillée par ses bailleurs de fonds, peut invoquer leur responsabilité civile.
Pour le cas du détournement, cela paraît automatique. Et pour les cas où le bailleur savait que l’allocation des financements n’était pas optimisée et qu’il n’intervenait pas pour corriger, il peut aussi endosser une partie de la sous-performance économique du pays. L’idée paraît tenir la route. Des institutions multilatérales avaient bien financé des programmes dans le cadre de la collectivisation de l’économie tunisienne, tout en étant convaincues de leur inefficacité.
Dans ces deux situations, loin de nous toute idée malveillante, on est fondé à les subroger dans nos droits sur le recouvrement des avoirs des responsables de l’ancien régime. Ils feraient meilleure diligence car mieux instruits des usages et procédures. Naturellement la différence resterait à notre charge. A approfondir!