Dans le cadre de sa stratégie d’accompagnement et d’appui à la Tunisie nouvelle, aux prises avec son destin, dont les élites politiques sont enserrées, depuis le triomphe de la révolution de la liberté et de la dignité, dans le jeu social de la coopération et du conflit, le Programme des Nations Unis pour le développement (PNUD) vient d’organiser, du 3 au 4 juin 2011, à l’Hôtel Acropole, à Tunis, deux tables rondes internationales sur la transition démocratique à la lumière de l’expérience latino-américaine. Il s’agit, nous dit-on, de tirer profit, au bénéfice de la révolution du jasmin, du passage à la démocratie d’un bon nombre de pays d’Amérique du sud, qui ont réussi, après des années de braise et de plomb, à se débarrasser des régimes militaires d’extrême droite, réputés violents et sanguinaires, tout en réhabilitant les valeurs universelles liées à l’alternance politique, au combat démocratique, au respect des droits de l’homme et aux libertés individuelles et collectives.
Une importante délégation composée d’anciens ministres et de hauts fonctionnaires venus d’Amérique du sud, qui ont été impliqués dans des processus de transition dans leur pays respectifs, ont exposé, deux jours durant, dans des débats passionnés, en présence d’éminents représentants de la société civile tunisienne et de quelques membres du gouvernement provisoire, les cheminements et les soubresauts sociopolitiques d’un continent, catalogué, depuis toujours, comme le repaire naturel des guérillas et de la violence des escadrons de la mort , aujourd’hui rallié au verdict des urnes et à l’alternance.
Seulement, l’intervention de M. Mohammed Ennacer, Ministre des Affaires Sociales au sein du gouvernement provisoire, qui a toujours su se garder, durant sa longue carrière au service de l’Etat tunisien, des abstractions, des postures avantageuses et des songes creux, était un morceau étourdissant de lucidité, d’éclairage intellectuel et de hauteur de vues sur la réalité nationale et internationale. Précis, correct, froid et honnête, il a du souffle, des lettres et l’art des grands épéistes en matière de réactivité. Pour la première fois dans l’histoire du monde, nous dit-il, des identités batailleuses s’affirment dans chaque aire culturelle et tous les peuples sont politiquement actifs, éveillés et pas seulement les occidentaux et les grands « émergents ».
« La Tunisie a connu une révolution spontanée de jeunes désœuvrés, déshérités, frustrés et déracinés, dont le cri de ralliement était le droit à l’emploi, la fin de la corruption et des privilèges, le développement régional et la liberté d’expression », a déclaré d’emblée M. Mohammed Ennacer, pour qui le personnel politique aux commandes pendant la transition démocratique doit impérativement réviser le rôle régulateur de l’Etat, retisser les liens sociaux et économiques entre les régions, apprendre à se mouvoir dans les eaux de la contestation, éviter les bras de fer verbaux, raisonner en termes de compromis, savoir placer le curseur de la négociation au bon niveau, faire preuve de synthèse, enraciner la démocratie, remuer le tissu industriel, réformer pour suivre la vie et essayer d’ajuster l’exercice du pouvoir de l’Etat à l’ensemble des réalités politiques, sociales, économiques et culturelles de la nation.
Au fait, tout au long de son exposé, le Ministre des Affaires Sociales du gouvernement provisoire a rappelé l’urgence, dans la période de transition démocratique, de revoir le modèle de développement du pays, de prioriser les revendications syndicales, d’instaurer un climat de confiance entre les différents acteurs de la vie politique et d’entretenir, sur des bases civiques, la vitalité d’un élan nationaliste passionnelle lié au triomphe de la révolution, à la fierté retrouvée, à l’émergence de nouveaux talents et à l’éclosion d’une élite porteuse de progrès et de modernité, qui aura à croiser le fer, insiste notre interlocuteur, avec les forces traditionnalistes de la société dans ces moments fatidiques.
En guise de conclusion, M. Mohammed Ennacer a mis en garde contre l’absence d’un débat économique sérieux parmi les partis politiques, englués dans des querelles partisanes, de plus en plus éloignés d’une réalité tunisienne d’essence libérale, à l’image du Liban, de tout temps liée à son environnement régional, amarrée à la mondialisation et à l’Union européenne, dont l’aide est vitale dans cette période démocratique transitoire.