La révolte des jeunes espagnols, grecs et français, à laquelle nous assistons ces jours-ci, et qui s’inscrit, selon de nombreux analystes, dans le même sillon que celui des jeunes arabes contre l’ordre établi, peut-il annoncer une dynamique solidaire entre le Nord et le Sud?
Les «Indignados» (les Indignés), jeunes pour l’essentiel, qui ont investi, depuis le 15 mai 2011, la Plaza del Sol, à Madrid, ont décidé certes de mettre le voile dimanche 12 juin 2011. Mais ce n’est apparemment que partie remise.
Les jeunes qui protestent contre les «maux de la société espagnole: la mauvaise gestion de la crise, les abus du capitalisme, le chômage, la corruption et… biens d’autres choses» (dixit notre confrère madrilène El Mundo) n’abdiquent pas. «La révolte évolue vers une nouvelle approche; elle souhaite s’inscrire dans la durée», soulignent ses initiateurs. Des manifestations sont programmées les 11 et 19 juin 2011.
Dimanche 5 juin 2011, une manifestation, qui veut s’inscrire dans la même mouvance, avait rassemblé plus de 50.000 personnes sur la place Syntagma (de la Constitution), à Athènes, en Grèce, en face du Parlement, en scandant «voleurs, voleurs» à l’adresse du gouvernement grec.
Dimanche 29 mai 2011, quelques milliers de jeunes se sont également rassemblés, à Paris, Place de la Bastille, pour dire leur «indignation».
Un mouvement spontané
Les journaux européens, qui n’ont cessé de faire leur Une sur ces manifestations, y ont vu un remake de ce que d’aucuns appellent «le printemps arabe» comparant la Plaza del Sol à Madrid, à la Place «Ettahrir» au Caire, ou à l’Avenue Habib Bourguiba à Tunis, ou encore à la place «Ettagyir» (changement), à Sanaa au Yémen, où des jeunes se sont rassemblés pour dire leur ras-le-bol face à l’oppression, à la dictature et pour appeler à un avenir meilleur.
La presse européenne y voit les mêmes trois «ingrédients» à cette révolte des jeunes: un mouvement spontané que les partis politiques n’ont pas initié; un mouvement apolitique: les «indignés» parlant qu’en leur nom; une forte implication des nouvelles technologies, notamment les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) qui ont joué un rôle d’accélérateur et de fédérateur.
D’autres médias y voient la naissance d’«une nouvelle classe d’âge», se référant, à ce juste propos, d’une prophétie du sociologue français Edgar Morin. Ce dernier avait créé ce concept en commentant le rassemblement de quelque 200.000 jeunes, Place de la Nation, à Paris, en 1963, à l’appel de Daniel Filipachi, directeur du magazine Salut les copains, pour assister à un concert gratuit.
Le sociologue français avait alors soutenu, et dans un article publié par notre confrère Le Monde, que les jeunes sont, entre autres, l’«expression d’une citoyenneté économique» soulignant que cette jeunesse surgit «sous la stimulation permanente du capitalisme, du spectacle et de l’imaginaire» (1).
Un autre intellectuel a fait parler de lui à l’occasion de l’apparition du mouvement des «Indignados». Il s’agit du résistant français contre l’Allemagne nazi, Stéphane Hessel, qui a publié, fin 2010, un livre combien révélateur: «Indignez-vous». Et parmi les éléments qu’il invoque pour que la jeunesse se rebiffe, «la dictature des marchés financiers internationaux qui a «créé un écart, jamais connu dans le passé, entre les plus pauvres et les plus riches». (2)
Un égoïsme qui n’a que trop duré
Mais la presse européenne, qui a insisté sur le fait que la révolte des jeunes en Europe -en témoigne le concept de l’«été européen»- relève de la même logique que celle de la révolte des jeunes dans les pays arabes –«le printemps arabe»-, n’a pas pipé mot sur les relations que peuvent entretenir les jeunes du Nord et du Sud de la Méditerranée au vu de cette «nouvelle» dynamique.
Il est à se demander, en effet, si le combat des uns et des autres, qui compte bien des similitudes, est capable de fédérer les jeunes pour coopérer plus équitablement. Bâtir en somme un développement plus solidaire. Ou si les jeunes européens, comme leurs aînés, ne voient pas plus loin que le bout de leur nez en restant empêtrés dans un égoïsme qui n’a que trop duré. La question méritait d’être posée par les analyses. Et sous ce prisme!