Certains diraient avec conviction que c’est très courageux de conduire la prière
du vendredi à Métlaoui alors que la ville vient à peine de vivre des jours
sanglants. D’autres diraient que le Cheikh Abdelfattah Mourou est un renard qui
sait que rien ne forge une réputation plus que de se faire voir dans les
théâtres enflammés. D’autres encore diraient que, dans tous les cas de figure,
c’est du plein droit du Cheikh, en tant que politicien, de faire reluire l’image
de son parti quand une si belle occasion se présente. Les plus attentifs à la
vie politique diraient que l’on ne se poserait certainement pas autant de
questions si le cheikh-politicien avait appartenu à un parti autre qu’Ennahdha…
En vérité, cette toute première apparition d’un parti politique à Métlaoui après
le drame ne pouvait (par définition, nous allions dire) qu’être suspecte. Car ce
qui est sûr, c’est que le prêche du cheikh-politicien ne contribuera que très
marginalement à calmer les esprits. Les gens de Métlaoui qui n’ont pas cessé
d’appeler à calmer les esprits l’écouteront. Les autres regarderont mais
n’écouteront que leur propre logique, scellée dans les poitrines.
Pour comprendre un peu la situation, il faut bien saisir que cette ville de près
de 100 mille âmes est composée d’une mosaïque exceptionnelle : Awled Bouyahia
(qui compteraient pour la moitié de la population), les Jéridiyya (le cinquième
de la ville), Awled Slama (un sur dix habitants), Awled Maammar, Awled radhouane,
les Khémayliyya, Awled Sidi Abid, les Nouwayliyya, les Frachiche… et la liste
est encore longue ! Entre eux tous, tout va bien quand les rivalités ne sont pas
excitées. Rappelez-vous, ils ont participé ensemble au fameux sit-in Kasbah2.
Mais la chose peut virer très rapidement au vinaigre quand les rivalités
trouvent un détonateur.
Le cheikh-politicien Mourou connait évidemment tout cela et sait pertinemment
qu’un prêche ne changera rien à des tensions qui perdurent depuis des décennies
et qui n’attendent qu’un signe pour éclater de nouveau. Alors pourquoi prêcher à
Métlaoui ? Ennahdha nous aura-t-elle à l’usure ?