Ben Ali est parti. Tant mieux. Mais le système qu’il a créé, qui s’est nourri de lui et dont il s’est nourri est encore là plus présent que jamais. Nombre de ses sous fifres, instruments, et mégaphones qui répandaient ses mensonges s’abreuvant au passage du sang et de la sueur du peuple, sont toujours là, tissant leurs toiles autour des nouveaux gouvernants et balisant le terrain pour s’attirer les grâces des prochains.
La cour, les opportunistes et les profiteurs sont encore là et ils sont plus dangereux que jamais. Car avant, ils étaient identifiables, aujourd’hui, ils ne le sont plus. Leur grande capacité d’adaptation leur permet de muter en fonction de leurs intérêts et des enjeux vitaux pour eux, il s’agit bien entendu d’argent et d’affaires.
Ils sont toujours plus nocifs que de tout autre temps. Après s’être servi de Ben Ali pensant lui-même se servir d’eux, ils œuvrent aujourd’hui à créer de nouveaux Ben Ali. Il y va de leur survie, eux qui ne peuvent se suffire tout juste de leurs compétences, diplômes ou capacités concurrentielles pour être les meilleurs. Ces maîtres des coups fourrés et des petites combines, lesquels pour préserver leurs intérêts sont prêts à s’adonner sans scrupules aux basses besognes, seules garantes de leur assurer pouvoir et argent.
Les têtes pensantes familières et omniprésentes du temps de Ben Ali, ont commencé à paraitre et à se mouvoir aujourd’hui dans le nouvel environnement politique et socio-économique du pays. Trompant la vigilance des uns et des autres et jouant au « Chahed ma chafchi haga » qui rappelle la pièce théâtrale égyptienne de Adel Imam (Un témoin qui n’a rien vu). Avec toutefois une différence : ils n’ont pas été uniquement des témoins mais des acteurs et complices de la mise à sac du pays et de la mise en chiffres, en images et en spots télévisées de l’aura trompeuse de l’ancien président et du miracle économique du pays. Ceux là mêmes investissent aujourd’hui dans les décideurs de demain suivant en cela notre proverbe populaire « ifrich talka ma titghatta ». (Il faut apprendre à bien étendre les draps pour pouvoir bien se couvrir).
Et pendant que les partis se disputent le pouvoir, que les associations occupent leurs temps à organiser tables rondes, ateliers et forums, programmes et « des plans entre bons amis », les vieilles pratiques reviennent de plus belle pour retracer de nouveau les sentiers escarpés qui serviront de « feuille de route » pour notre deuxième République.
La corruption est encore là et il ne faut pas compter sur un gouvernement que « nous accusons » tout le temps de n’être que transitoire pour y mettre fin. Les pots de vins offriraient toujours et autant les meilleures portes d’entrée pour ceux qui veulent être les premiers à passer les contrôles techniques des voitures, avoir rapidement un papier, accélérer les formalités ou passer des objets illicites…trompant la vigilance de personnes intègres et se marrant de ceux qui ont été assez naïfs pour croire que Ben Ali parti, la Tunisie deviendra plus honnête, plus transparente, plus démocratique, plus équitable et moins corrompue…
« Nous pensions que les comités du RCD dissous, nous n’aurions plus de comités, mais voilà de nouveau les comités. Ceux de la protection de la révolution. Qui nous garanti qu’ils ne sont pas infestés des anciens Rcdistes, d’autant plus que les pratiques sont presque les mêmes » dénoncent des jeunes de Gafsa qui s’expliquent : « Nous voulions être volontaires pour faire partie des comités de protection du Bac et on nous a déclaré au gouvernorat que nous devions passer par les comités de protection de la Révolution. Nous avions d’ailleurs reconnu parmi leurs membres des anciens du RCD. Non rien n’a changé, les relations entre “comités officiels” et autorités locales sont toujours aussi solides».
En fait, rien ne changera tant que les gardes fous nécessaires n’auront pas été mis en place. Rien ne changera tant que les ONG ne feront pas de terrain plus qu’ils n’organisent des forums et des rencontres médiatisées. Rien ne changera tant que les pratiques dictatoriales persisteront au sein même de ces ONG et des partis politiques sensés être le cœur de l’apprentissage démocratique. Rien ne changera tant que des individus continueront à contourner la loi pensant s’en sortir à bon compte. Rien ne changera tant que les personnes qui ont participé à la fabrication et à la consolidation de Ben Ali à la tête de la Tunisie ne reconnaitront pas leurs responsabilités et ne demanderont pas publiquement au peuple de leur pardonner leur aveuglement pour que la réconciliation se fasse. Rien ne changera tant que ceux qui ont profité du système pour s’enrichir, avoir les meilleurs marchés et s’attirer les meilleures offres ne seront pas dénoncés et continuent comme si de rien n’étaient. Rien ne changera tant que ceux qui commettent des infractions aussi minimes soient-elles ne seront pas dénoncés par les citoyens eux-mêmes parce qu’ils menacent l’économie du pays, ses valeurs et sa démocratie.
Une démocratie, c’est aussi une citoyenneté et pour devenir citoyens, il faut avant tout travailler sur la structure mentale. C’est d’une révolution culturelle que notre Tunisie a besoin.