J’écoutais ce Monsieur parler, et je sentais comme une ambiance de je ne sais
quoi… de Ramadan, voilà! Et c’était l’étincelle qui m’a permis de comprendre.
C’est une question très délicate, et elle me travaille depuis un bon bout de
temps. Que penser des partis «islamistes» ou «islamiques»? D’ailleurs, je ne
sais plus quel terme utiliser. Est-ce un tort… de vouloir mêler le religieux
et le politique? Même si eux, les responsables, font du contorsionnisme de haut
niveau: ils se réclament partis islamiques, et nient en même temps l’inférence
du religieux dans le politique. Et c’est selon les cas. Chacun son discours. Il
paraît que ça fait peur aux gens de se réclamer «islamique». Alors on évite.
Mais il paraît aussi que ça fait peur aux gens de se réclamer «laïc», la
majorité ne sachant même pas ce que laïcité veut dire. Alors on évite aussi.
Je crois que l’essentiel n’a pas été vraiment dit. Il est incarné par Cheikh
Mourou. Cheikh Mourou c’est Ramadan. Non ce n’est pas une plaisanterie. Il n’y a
pas un Tunisien qui ne regarde pas la chaîne nationale au mois saint. Il n’y a
pas un Tunisien qui ne prend pas place à table à la rupture du jeûne. Y compris
et surtout s’il n’a pas jeûné, qui ne regarde pas les feuilletons tunisiens,
etc. Le substrat culturel fait partie intégrante de toute stratégie politique,
il n’y a pas de pouvoir qui ne soit pas imprégné par une certaine culture.
Bourguiba avait la sienne, Sarkozy, Bush, Obama, etc. Sauf Ben Ali peut-être, il
a dû être très occupé par le comptage de sa recette du promo-sport du dimanche.
Il ne s’agit pas de religion, pas tant que ça, il s’agit de culture, du
patrimoine culturel qui est le nôtre. De ce sentiment de douceur et de fierté,
d’appartenance à quelque chose de grand et de profond. Une culture..
Et même si certains ne se reconnaissent pas directement, ou tous les jours, dans
les symboles qu’est la «jébba» de A. Mourou, qui –honnêtement- ne voudrait pas
en porter une qui soit si élégante, à son mariage ou à celui de sa fille? Ce que
je veux dire, c’est que, même si ce n’est pas dans la culture que nous portons
tous les jours, c’est dans l’inconscient culturel, collectif, partagé et
fédérateur de notre unité et de notre spécificité.
CCheikh Mourou, avec sa «jebba» si élégante, réclame une identité. Avec son arabe
littéraire et très soigné, nous délivre enfin du complexe du bilinguisme jamais
réussi (ou juste par une mince frange sociale). Nous sommes un peuple qui a une
Histoire et une langue. En écoutant Mourou, nous sentons notre estime de soi,
mais notre estime collective aussi, remontée.
Il a de l’humour en plus, et cite des proverbes tunisiens, des commentaires à la
manière de
Béji Caïd Essebsi, tout de l’ancienne école, et tout pour plaire
aussi. Un futur «animal politique»? Peut-être bien.