Dans les cités de l’Empire romain, les élus, qui ne tiennent pas promesses, se devaient de payer des «pénalités financières». Ne pouvant imposer aujourd’hui pareille procédure, il ne reste aux électeurs qu’à espérer que les promesses soient tenues ou qu’à se préparer aux déceptions.
«Les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient». Cette déclaration, qui serait de l’homme politique français Charles Pasqua, vaut le détour. Charles Pasqua est un vieux de la politique française qui a construit toute sa carrière à la force du poignet. Militant de base ayant rejoint le général De Gaule dans son combat contre l’Allemagne nazie, il a été pratiquement de tous les combats électoraux des Gaullistes en France.
L’homme a milité au sein de l’UNR (Union pour la Nouvelle République) entre 1958 à 1968, de l’UDR (Union pour la Défense de la République) entre 1968 et 1971, de l’UDR (Union des Démocrates pour la République), entre 1971 et 1976, du RPR (Rassemblement pour la République) entre 1976 et 2002 et de l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle, entre 2002 et 2007). Ce parti a gardé le même acronyme, mais est devenu en 2007, l’Union pour un Mouvement populaire.
Il a fondé notamment le SAC (Service d’Action Civique), le service d’ordre du mouvement gaulliste, et a été, par deux fois, ministre de l’intérieur: entre 1986 et 1988 et entre 1993-1995.
Peut-on appliquer la déclaration de Charles Pasqua au vécu de la Tunisie d’aujourd’hui? Maintenant que tous les partis et mouvements politiques, dont le nombre avoisine quatre-vingt dix, sont dans les starting-blocks –la date de l’élection des membres de la Constituante étant définitivement arrêtée-, les promesses non tenues pourraient être la règle. Du moins pour certains d’entre ces partis et mouvements.
Promettre la chose et son contraire
Certains observateurs craignent, d’abord, que des mouvements et partis politiques qui ne sont pas préparés à l’échéance du 23 octobre 2011 fassent du n’importe quoi, promettant la chose et son contraire n’ayant pas de programme en dehors de grands principes idéologiques dont certains sont surannés. Comment adhérer, en effet, à des idéologies qui ont été combattues par toutes les sociétés du monde?
Ces mouvements et partis n’ont ni programmes, ni toujours des cadres capables de produire, dans certains domaines, des propositions concrètes qui peuvent tenir la route. Lorsqu’ils n’ont pas –faut-il leur reprocher cela?- et une connaissance des dossiers et une expérience de gestion de la chose publique.
Ils craignent, ensuite, que d’autres mouvements et partis politiques plus «outillés» fassent des promesses qu’ils savent ne pas tenir. Car l’héritage aussi bien de Ben Ali que les quelques premiers mois de l’année 2011 sont lourds à porter. Sur le terrain de l’économie notamment, il faudra répondre aux aspirations «pressantes» des Tunisiens à une vie meilleure. Et les revendications sont nombreuses: créations d’emplois, augmentation des salaires, développement régional, amélioration des transports publics, constructions de logement… L’attitude de certains partis politiques peut tenir de la pure tactique. L’essentiel est de gagner l’élection, après on verra, pensent-ils.
6% de la somme promise par année de retard
La crainte est que ces promesses, dont les auteurs ne peuvent pas tenir, plonge le pays dans de nouvelles grèves, de nouveaux sit-in et autres mouvements de protestation. Des mouvements de protestation qui pourraient être encore plus longs et plus durs eu égard au fait que les partis et mouvements qui auront obtenu une majorité de voix grâce aux promesses qu’ils auront faites ne peuvent dire qu’ils n’ont pas les mains libres comme l’est actuellement le gouvernement de transition.
Tenir ses promesses, cela n’a pas été toujours, du reste, le propre des hommes politiques. Une étude réalisée, en 2006, au Québec (Canada), souligne que seulement 60% des promesses faites par le Part Libéral du Québec, parti au pouvoir dans cette province, ont été réalisées en totalité ou en partie, entre 2003 et 2007.
Tenir ses promesses, ce n’était pas le cas déjà sous le règne de l’empire romain. François Jacques rapporte dans son livre «Le privilège de la liberté*» comment, dans les cités de l’empire, les élus qui ne tiennent pas promesses se devaient de payer des «pénalités financières».
Le même François Jacques nous apprend que les empereurs de la dynastie des Sévères, dont Septime Sévères, né, du reste, sur le sol africain, ont dû légiférer dans ce domaine. Les Sévères ont, en effet, imposé un délai d’accomplissement de six mois aux promesses; dépassant ce délai, «l’élu récalcitrant doit régler l’équivalent de 6% de la somme promise par année de retard».
Ne pouvant imposer aujourd’hui pareille procédure, il ne reste aux électeurs qu’à espérer que les promesses soient tenues ou qu’à se préparer aux déceptions faisant sienne la fameuse formule de Charles Pasqua.