L’acuité du problème de l’emploi est devenue la principale préoccupation dans les régions défavorisées. Il faut relever à cet égard que, pour les jeunes de 15 à 29 ans, le taux de chômage atteint 40% dans le gouvernorat du Kef et dépasse sensiblement ce seuil dans le gouvernorat de Gafsa, contre 30% à l’échelle nationale.
A noter que, sur l’ensemble des chômeurs de ces régions défavorisées, près des deux tiers d’entre eux sont des jeunes de 15 à 29 ans et, si on ajoute à ceux-là les jeunes inactifs de la tranche d’âge 30 – 35 ans, on atteint les trois quarts des chômeurs. Plus spécifiquement, selon les données disponibles ce jour (mai, 2011), le taux de chômage des diplômés de l’enseignement supérieur atteint 48% dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, 46% dans le gouvernorat de Gafsa, 44% dans le gouvernorat de Jendouba, 44% dans le gouvernorat de Tataouine, 41% dans le gouvernorat de Kasserine et 40% dans le gouvernorat du Kef, alors que le taux de chômage national est de 29%. Pour les filles, il faut relever, à titre d’exemple, que ces taux dépassent 50% à Gafsa, et bien au-delà de 40% au Kef.
On doit noter, en outre, que:
– Le taux d’urbanisation de ces régions est assez faible: 40% pour le gouvernorat de Kasserine, 32% pour le gouvernorat de Kairouan et 25% pour le gouvernorat de Sidi Bouzid. Il s’agit donc de régions à dominante rurale, et d’habitat dispersé.
– Le chômage des jeunes augmente certes avec le niveau d’éducation, mais il reste assez élevé pour les jeunes des régions défavorisées qui ont quitté le système scolaire en cours de cycle, sachant, par ailleurs, que ceux, parmi ces derniers, qui échappent au chômage, sont souvent employés dans le secteur informel, où leurs conditions de travail sont
bien déplorables.
– Sur l’ensemble des chômeurs de tout âge, les diplômés du supérieur ne constituent qu’une petite minorité. Aussi est-il nécessaire de se préoccuper, par ailleurs, de la situation inquiétante des chômeurs «faiblement éduqués», dont l’état de précarité, et de détresse, constitue un stimulant irrésistible pour l’émigration clandestine.
– Les femmes actives, quel que soit leur âge, ont généralement moins de chance d’être employées que les hommes. De plus, on doit signaler, en particulier, que l’accroissement de la part relative des femmes de plus de 30 ans dans l’agriculture -de 50% en 1980 à près des 2/3 aujourd’hui- traduit une évolution dans le sens de l’accroissement de l’âge moyen de ces femmes actives et rend compte d’un phénomène de “vieillissement”/ précarité du facteur travail féminin dans ce secteur stratégique. De fait, la tendance à la prorogation de la vie active des femmes dans le secteur agricole pour les plus de 60 ans, dont le poids relatif est passé de 5% en 1980 à près de 15% actuellement, confinées le plus souvent dans des travaux difficiles et faiblement valorisants pour les femmes rurales, est de nature à réduire leurs aptitudes physiques au travail, et donc à altérer leurs normes de productivité.
Dans ce contexte, il faut observer que les conditions économiques de ces régions défavorisées contribuent à perpétuer cet état de déficit de croissance et d’emploi. Ces régions justifient certes de quelques «atouts», inégalement répartis entre les gouvernorats. L’agriculture occupe une large place dans l’économie de ces régions, notamment à Sidi Bouzid où l’extension de l’irrigation a permis de développer divers produits, principalement les cultures maraîchères (tomates), les viandes rouges et le lait. De même, le gouvernorat de Kasserine, dont 31% de la population active est occupée dans le secteur agricole, se caractérise par une superficie importante de sols riches et s’adaptant à différentes cultures, ainsi que des ressources hydrauliques appréciables (3 barrages, 77 lacs collinaires, 19 barrages collinaires,…). L’arboriculture (pommes) et les cultures maraîchères constituent les principales spécialisations de ce gouvernorat.
Par ailleurs, outre l’industrie traditionnelle de ces régions qui repose sur l’exploitation et la transformation de matières premières telles que l’alfa (pâte à papier), le marbre et le calcaire blanc, il faut mentionner la présence de certaines unités industrielles de sous-traitance (textiles) orientées vers l’exportation, établies dans différentes zones industrielles. Notons enfin que de nouveaux projets de services TIC commencent à se profiler (centres d’appels).
Toutefois, les opportunités potentielles des régions dites défavorisées sont faiblement exploitées en raison des difficultés structurelles communes auxquelles sont confrontées ces régions.
Dans le secteur agricole, le vieillissement de la population active qui y est employée, l’émiettement de la propriété, et la persistance de certaines techniques traditionnelles, voire désuètes, entretiennent une tendance à l’essoufflement.
De plus, certains facteurs limitatifs exercent un effet de freinage perceptible:
– Faiblesse de l’encadrement et pénurie relative d’ouvriers spécialisés pour des travaux sensibles comme la taille des arbres fruitiers, les labours ou les diverses opérations mécanisées.
– Conditions de travail et de rémunération de la main-d’oeuvre «peu attractives», pour ne pas dire répulsives.
– Sous investissement patent en moyens d’équipement.
– Défauts d’organisation des circuits de commercialisation des produits et d’approvisionnement en intrants.
Pour sa part, le tissu industriel est encore modeste, à faible densité technologique, et donc à faible voire très faible taux de valeur ajoutée.
On relève, en outre, la présence de projets répétitifs, localisés dans des branches saturées. Par ailleurs, il a été constaté qu’une bonne partie des jeunes promoteurs ne parviennent pas à assurer la pérennité de leur projet à cause de l’insuffisance des moyens financiers (voir étude PNUD, 2010). Le taux de survie des projets BTS déjà lancés serait encore faible (PNUD, op.cit.).
On peut ainsi considérer que les déficiences d’entrepreneuriat se trouvent à la base de la faible mobilisation du potentiel de croissance et d’emploi dans ces régions.
De ce point de vue, et en se référant à une enquête récente de l’IACE, on peut faire ressortir les principaux facteurs explicatifs du déficit d’entrepreneuriat régional:
– L’altération du climat de confiance du fait de l’absence/déficit de gouvernance, de la corruption et du risque sécuritaire.
– Les diverses incitations n’ont pratiquement pas eu d’effet sur les régions et n’ont pas répondu aux objectifs de création d’emploi et de décentralisation.
Pour certains chefs d’entreprise, l’insuffisance des incitations à l’investissement dans les régions défavorisées est la principale cause, alors que d’autres entrepreneurs évoquent le défaut d’adaptation régulière des incitations par rapport aux exigences régionales et aux disponibilités de chaque région, et plaident pour des mises à jour récurrentes des incitations.
– L’environnement n’est pas «encourageant» du fait de la «médiocrité» des infrastructures. Plusieurs opérateurs considèrent qu’on ne peut investir dans ces régions que s’il y a un minimum d’infrastructures (routières, réseau électrique, réseau de gaz,..) et un minimum de qualité de vie (espaces commerciaux, culturels, ..).
– Les coûts de recrutement et de formation des ressources humaines de qualité sont pénalisants. L’absence de cadres et de main-d’oeuvre hautement qualifiée aurait freiné plusieurs investisseurs à prendre le risque de s’implanter dans les régions défavorisées.
– Les banques sont perçues par certains chefs d’entreprise comme «un obstacle de premier ordre», surtout pour les PME. Il serait nécessaire, selon certains opérateurs, d’impliquer davantage les institutions financières et de les amener à mieux soutenir les investisseurs, voire les «pénaliser» en cas de refus d’octroi des crédits, acomptes et facilités de caisse.
Par ailleurs, les entreprises sondées sur un nouveau cadre plus incitatif à l’entrepreneuriat privé dans les régions estiment:
– pour près des 2/3 absolument prioritaire de faciliter les conditions de création d’une entreprise et rendre plus flexible le code du travail;
– pour près de la moitié assez prioritaire de faciliter l’obtention de permis et d’autorisation de construction, d’assurer l’exécution des contrats selon des délais raisonnables et d’améliorer les conditions d’enregistrement de la propriété.
Signalons, en outre, que l’étude du PNUD (op. cit, 2010) corrobore les résultats du sondage IACE; elle fait ressortir notamment que la faiblesse des investissements dans les activités non agricoles des régions du Kef et de Gafsa s’explique par des facteurs spécifiques: faiblesse des fonds propres, absence de garanties hypothécaires, réticence des banques à accorder des crédits à cause du risque de non recouvrement, rareté des terrains industriels et difficultés de conversion des terres agricoles en terres industrielles, environnement des affaires défavorable par comparaison avec les régions côtières et climat social défavorable.
A ce stade, il ressort clairement que la dynamique des régions est tributaire, à titre principal, des dynamiques entrepreneuriales. Des normes d’actions devraient être dégagées pour articuler les deux dynamiques. Auparavant, il importe de préciser les contours d’une stratégie de développement régional.