Un débat fait rage actuellement entre l’administration et la société civile sur
les ressources de financement du prochain plan quinquennal 2011-2015. Si la
première a tendance à privilégier l’endettement extérieur pour compléter le
schéma de financement de ce plan, la seconde refuse cette solution et plaide
pour «le compter sur soi», et partant sur les ressources intérieures et d’autres
moins contraignantes (épargne, investissement local, dons…).
Rappelons que le gouvernement tunisien avait, récemment, demandé au groupe
G8
une enveloppe de 25 milliards de dollars pour boucler le schéma de financement
de son plan de développement dont le coût global est estimé à 125 milliards de
dollars.
Les défenseurs de la révolution du 14 janvier voient dans cette initiative une
reconduction des solutions de facilité auxquelles recouraient les gouvernements
«économistes» de Ben Ali pour faire face aux crises.
Certains économistes, comme Moncef Cheikh Rouhou, qualifient de «gérable» ce
projet de nouvelle dette d’autant que la Tunisie gère une dette globale
raisonnable grâce à l’adoption d’un plan d’ajustement structurel.
Invité, à Tunis, pour se prononcer sur cette problématique,
Jean Ziegler,
penseur suisse et membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme
des Nations unies pense que «tout recours à un nouvel endettement risque de
compromettre la réalisation des objectifs pour lesquels la révolution tunisienne
a été faite et de soumette, encore une fois, la Tunisie au diktat de
l’ultralibéralisme du marché financier international et de ce qu’il appelle «des
organisations mercenaires mondiales (allusion au FMI, à la Banque mondiale et à
l’organisation mondiale du commerce)».
Pour mobiliser de nouvelles ressources, il propose aux Tunisiens de refuser de
payer «la dette odieuse» contractée du temps de Ben Ali et d’en convaincre les
bailleurs de fonds par le biais d’audits rigoureux des conditions de cette
dette. Dans cette optique, il donne pour exemple le cas d’un pays comme
l’Equateur qui avait refusé de payer ce type de dette et obtenu gain de cause
auprès de ses créanciers.
De son côté, Mustapha Nabli, gouverneur de la Banque centrale, relève que «la
problématique réside dans l’incapacité de l’économie tunisienne à réduire, à
court terme et de manière significative, le chômage des diplômés du supérieur
dont le nombre va augmenter, dans les prochaines semaines, avec l’arrivée sur le
marché de nouveaux promus des universités tunisiennes et que le soutien
financier international à la transition démocratique en Tunisie demeure
insuffisant en dépit des promesses du G8 qui a retenu la révolution tunisienne
comme un «patrimoine de l’humanité» et un investissement fort rentable à moyen
et long termes.
Dans cette même logique, Mahmoud Ben Romdhane, universitaire, fait observer que
le gouvernement provisoire a beaucoup fait pour accompagner matériellement la
révolution: doublement du montant de la compensation (3 milliards de dinars
contre 1,5 milliard prévu), majoration des salaires de la police, assistance des
familles nécessiteuses et des diplômés sans emplois, suppression de la
sous-traitance dans la fonction publique et son corollaire la majoration des
salaires de plus de 11.000 ouvriers…. Mais la marge de manœuvre de ce
gouvernement ne cesse de diminuer, à son avis, en raison de contraintes exogènes
(refoulement de Libye de plus de 40.000 ouvriers tunisiens, flambée des cours
mondiaux des hydrocarbures et des matières de base…).
Cette marge sera encore plus contraignante par l’élection de la Constituante, au
mois d’octobre prochain, car la reprise des investissements et la création
effective d’emplois ne seront possibles que vers 2014 au plus tôt et 2015 au
plus tard.
D’ici là, les solutions proposées pour atténuer l’effet pervers de tant de
contraintes consistent dans l’intensification de l’investissement local dans les
régions de l’intérieur, l’ouverture, partout dans le pays, de chantiers
d’utilité publique, le renforcement de l’infrastructure, et la réduction de la
compensation en n’en faisant bénéficier que ceux qui en ont vraiment besoin…
Sur le plan international, les experts tunisiens sont invités à négocier serré
avec les bailleurs de fonds aux fins d’obtenir le maximum de dons et surtout de
leur expliquer les moults économies et gains que leurs pays ont réalisé grâce à
cette révolution tunisienne et son effet multiplicateur sur le monde arabe.
Est-il besoin de rappeler ici que les 25 milliards de dollars demandés au G8 ne
représentent que deux mois de guerre en Irak? Comme quoi, cette révolution
tunisienne a été tout simplement plus qu’un raccourci heureux pour l’élimination
de «dictatures professionnelles», de l’argent comptant pour les propagateurs de
démocratie au forceps.