On ne sait trop comment voir clair dans l’effervescence entretenue autour du nouveau modèle social qu’il faudra adopter pour l’avenir. Il y a une cacophonie ambiante à un moment où il faut avoir les idées claires. On ne peut opposer le simple bon sens aux recommandations de l’ingénierie et de l’expertise.
Mister Jean Ziegler
Parmi les célébrités qui ont participé de cet état d’effervescence, se trouve Jean Ziegler. Son humanisme ne fait pas de doute et sa bonne foi est au-dessus de tout soupçon. Toutefois, sa médication en matière financière pourrait se révéler désastreuse. Compatissant avec la Tunisie d’après le 14 janvier, l’icône suisse de la contestation appelle la Tunisie à la désobeissance financière. Autrefois, on appelait cela du «gauchisme». Comment la Révolution de la dignité pourrait-elle basculer dans la filouterie financière et laisser une ardoise au marché?
Dans une interview récente, Moncef Cheikhrouhou nous expliquait que la «surprime» de pénalité que nous subirions du fait de la restructuration spontanée de notre dette nous saignerait à l’avenir, compromettant notre bon crédit avec les bailleurs de fonds. Blouser les créanciers, c’est aller au casse-pipe, pour faire court. Cela revient à nous étouffer financièrement.
Par ailleurs, quand Jean Ziegler nous prévient de ne pas nous endetter à l’avenir, au mieux il nous pousse à sourire. Il est vrai que si l’on parvenait à mettre la main sur la fortune des B-A-T (Ben Ali-Trabelsi), on aurait un répit pour quelques temps, mais c’est chimérique de penser, avec la meilleure bonne volonté du monde, qu’on peut la récupérer de sitôt. L’Argentine n’a pu recouvrer la fortune évadée des Pinochet qu’au bout de vingt bonnes années. La Tunisie a, par conséquent, besoin de lever de la dette, et en la matière, elle dispose de recettes avant-gardistes de la plus haute ingénierie.
A l’avenir, ce n’est pas l’Etat qui s’endettera directement. C’est-à-dire que notre dette ne sera pas payée par le budget et, in fine, le contribuable, mais par des entités de capital, en l’occurrence la Caisse des Dépots et consignaqtions et le Fonds générationnel qui paieront sur leur propre compte d’exploitation.
C’est toujours intéressant d’écouter plusieurs avis et de ne pas céder aux sons de «cloches». Ce serait indécent de demander à Jean Ziegler de revoir sa copie, mais il ne faudrait pas non plus qu’il s’aventure en dehors de son domaine de compétence.
L’analyse anachronique
Dans ce même sillage, on a entendu des voix anachroniques dénonçant la dualité de l’économie tunisienne et d’autres rappelant que les zones de pauvreté ont donné le strike pour la révolution. L’analyse par la dichotomie économique est une simple analyse de surface. Le modèle tunisien ne s’est pas effondré parce qu’il était dual mais parce qu’il ne générait pas de productivité. Privé de capitalisation productive, il ne pouvait accumuler du capital et donc était incapable d’avancées sociales significatives. Tôt ou tard ses équilibres fragiles auraient rompu. Et d’ailleurs, le complément d’analyse par l’attribution du signal révolutionnaire aux zones déshéritées est tout aussi désuète. Le phénomène a pu jouer partiellement le rôle de détonateur mais c’est l’essoufflement de productivité d’un système qui produisait peu ou prou de valeur ajoutée qui a grippé l’ensemble, et c’est bien ce qui a provoqué l’effet boule de neige.
Il est vrai que dans ce contexte, on pense que l’intégration régionale pourrait être le troisième poumon qui manquait à l’économie du pays. Mais quels paradigmes nouveaux lui appliquer?
Quid du système coopératif
On a bien parlé jusque-là de l’inclusion des régions de l’intérieur dans une nouvelle dynamique porteuse d’un nouveau modèle économique et social. On a parlé abondamment d’infrastructure mais on n’a pas évoqué autant qu’elle le mérité l’économie rurale et l’activité pastorale. Comment pallier au rétrécissement du salariat agricole? Voilà un aspect préoccupant de l’économie agricole et qui mérite aussi qu’on s’en occupe. Comment convertir nos petits fellahs en exploitants agricoles modernes?
Autrefois, quand on abordait la question, la solution récurrente était la réforme agraire, c’est-à-dire le remembrement des terres. Mais comment, sans toucher à la propriété des terres, faire performer le monde rural?
Sous le régime collectiviste, on a instauré les circuits coopératifs. Pourquoi ne pas les tester de nouveau? Les circuits des intermédiaires, type «SOTUMAG», ont spolié les petits propriétaires. Demain pourquoi ne pas réactiver les Caisses Locales de Crédit Mutuel et remettre sur pied une logique corporatiste qui peut sauver nos régions? Le bilan des Coopératives des services agricoles n’est pas aussi désastreux. Nous y reviendrons.