A la question de savoir ce qu’il pense de la longueur de la jupe de la
championne de Roland Garros Ons Jabeur, Cheikh Mourou répond que la tenue du
tennis étant normalisée d’une certaine façon, on ne va pas débattre là-dessus.
Que lui préfère la pudeur, des jupes plus longues, et que par cette pudeur il ne
cherche qu’à «garder une estime haute» de la femme. Voilà qui est clair et
cohérent.
Une culture étant un ensemble de normes, de valeurs, validées collectivement,
c’est-à-dire que tout le monde est à peu près d’accord là-dessus, et qui sont
surtout cohérentes, les unes avec les autres. Or, un problème majeur dans notre
société -«le Cu entre deux chaises», excusez l’expression- est qu’elle est
moderne (au sens des valeurs) en apparence, et en grande partie traditionnelle,
dans le fond.
Les femmes mettent bien ce qu’elles veulent, des jupes courtes, des décolletées
en veux-tu en voilà, la gente masculine ne les laisse pas tranquille par
ailleurs, et le harcèlement et la violence verbale sont à un niveau record dans
notre pays.
Dans un pays ayant parfaitement intégré ces valeurs modernes, ou précisément la
lecture moderne de l’émancipation, on ne ferait même pas attention dans la rue à
ce que portent les femmes. J’ai été étonnée et scotchée de voir des femmes
bronzer seins nus sur la promenade des Anglais (Nice) sans que personne ne se
retourne pour les regarder… sauf des Arabes. Justement.
C’est donc qu’une certaine lecture «occidentale» ou «moderne au sens occidental»
de l’émancipation de la femme n’est pas cohérente avec les autres normes et les
autres valeurs qui font consensus dans notre société.
Est-ce à dire que l’œuvre de Bourguiba et toute la tradition de l’émancipation à
la tunisienne ne sont rien? Bien sûr que Non. Ce qu’il faut bien comprendre,
c’est que les sociétés ont toutes leurs spécificités culturelles, et que
l’émancipation, précisément la question du corps privé-public, peut être «lue»
de façons différentes, ici et là. La lecture de Mourou semble très proche de
celle de la majorité des Tunisiens à mon avis.
On est tenté de penser que Mourou apporte -tout bonnement- tout ce dont on a
besoin.
Il y avait une espèce de vide ou de chao culturel, avant la révolution. La
modernité à l’occidentale a relativement déçu, des femmes trop émancipées … qui
font peur aux hommes, qui ne veulent plus se marier, ou alors qui divorcent trop
vite. Le diplôme déçoit et ne réalise pas l’ascension sociale et économique
escomptée. Tout se mélange, la Femme perd de sa féminité en étant sur tous les
fronts (travail, mécanicien, cuisine, ménage, courses, enfants, etc.), l’Homme
perd de sa force «symbolique», le père perd de l’autorité, etc.
Le discours de Mourou peut-il être le chaînon manquant? Il semble apporter et
réintroduire un certain background culturel, ciment social, et véritable effet
de levier pour tout développement et progrès. Mais plus encore, c’est ce
background qui permet -théoriquement- de renforcer l’identité nationale, afin
d’obtenir une égalisation des rapports de force culturels (dont j’ai parlé dans
un précédant article), entre sociétés occidentales ou du Nord, et nous sociétés
arabes. LE FACTEUR CULTUREL… est-ce le chaînon manquant?
Mais il s’agit là d’une certaine identité, de certaines valeurs… «Passéistes»?
En gros, va-t-on bannir les jupes courtes pour que nos conjoints et nos
collègues de bureaux aient une «haute estime» de nous comme le dit Cheikh Mourou?
Entre «la machine Rotana» et le «nikab», il y a quand même de la marge. Je peux,
être moi-même, porter ce qui me va, ce qui reflète ma personnalité, ce qui va
avec mon humeur du jour, sans être dans un extrême ou un autre.
Et cette «estime» due à la femme, n’est-elle pas finalement très façonnée par
notre histoire et notre culture? Il faut dire que c’est une question éternelle
que celle du statut et du rapport au corps, surtout à l’ère de l’image, de la
consommation, y compris de l’image du corps.
Je pense à l’époque antique, celle des Romains par exemple, les statues des
dieux nus. Le degré de nudité qui permet de faire la différence entre un dieu,
un citoyen ordinaire, et un esclave. Facteur de catégorisation sociale en gros.
J’ai plus de questions que de réponses. Je réfléchis. Il faut y réfléchir, il en
va du modèle de société que nous voulons.