1956-2010 : Les expériences de développement de la Tunisie

Par : Tallel

dev-tunisie-partis-1.jpgInvité récemment par la Chambre tuniso-allemande d’industrie et de commerce (CTAIC ou AHK), dans le cadre du Club Media de la Chambre qui a choisi de débattre du thème du développement régional, Karoui Sofiene -Universitaire à l’Ecole Supérieure de Commerce de Tunis- a articulé son intervention autour de deux principaux axes, à savoir :

– une rétrospective historique des schémas de développement qu’a connus la Tunisie depuis son indépendance…

– les résultats de cette expérience.

L’enseignant rappelle que depuis son indépendance en 1956, la Tunisie s’est engagée dans un long processus comportant 11 plans de développement ; l’examen et l’analyse de ces plans lui ont permis d’identifier 6 phases essentielles : la phase de nationalisation (1956-1961), la phase de l’expérience socialisante (1961-1969), la phase du capitalisme protégé (1970-1981), la phase du discours démagogique (1982-1986), la phase de la libéralisation de la Tunisie (1986-1995) et la phase de mise à niveau de l’économie tunisienne (1995-2010).

A ce stade d’analyse, M. Sofiene souligne que «durant cette phase, c’est l’écart entre le discours politique et la réalité qui a été à l’origine de la crise qu’a commencé à connaître la Tunisie en 2008 et qui s’est soldée par la révolution du 14 janvier 2011». De là, il estime que… «ce ne sont pas les intentions et les discours politiques qui vont permettre le développement d’un pays mais c’est surtout l’efficacité et l’efficience de leur mises en œuvre, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la Tunisie».

Après l’analyse historique du développement de la Tunisie, l’universitaire va essayer «de positionner son stade de développement par rapport à d’autres pays, notamment l’Allemagne. Pour ce faire, il retient une étude réalisée par M. PORTER, qui distingue dans le processus de développement des nations quatre phases essentielles, à savoir:

– Le stade de primauté des facteurs de production

– Le stade de primauté de l’investissement

– Le stade de primauté de l’innovation

– Le stade de primauté de la richesse.

Alors, dans quel stade se trouveraient la Tunisie, toujours selon cette étude. L’universitaire pense que notre pays n’a franchi que le premier stade et se trouve au début de la phase de “la primauté de l’investissement“, notamment dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation, alors que l’Allemagne serait à la fin de la phase de la primauté de l’innovation, étant donné qu’elle a créé et exporté sa technologie.

A partir de là, l’intervenant s’attaque aux “résultats de l’expérience tunisienne en matière de développement“. Pour M. Sofiene, objectivement,“ les onze plans de développement adoptés par la Tunisie depuis son indépendance n’ont pas eu que des conséquences négatives“. Et pour étayer ses dires, il citera “la généralisation de l’enseignement“, “le statut de la femme“, “l’investissement dans la santé de base“, et “l’infrastructure dans certaines régions…“.

Cependant, l’universitaire tunisien estime que les aspects positifs n’arrivent pas à combler les effets pervers des schémas de développement de la Tunisie qui ont conduit à la superposition de trois crises: politique, économique et sociale, à partir de 2008. D’ailleurs, pour plus de compréhension, il rappelle la définition de la notion de crise selon Le Petit Robert: «La crise est un moment de rupture pendant lequel les mécanismes anciens ne fonctionnent plus alors que de nouveaux mécanismes ne sont pas à l’œuvre».

Quelles sont alors les raisons de la crise tunisienne?

Selon lui, les plus importantes raisons de la crise tunisienne sont d’ordre économique, culturel et social et politique. Après avoir expliqué en détail toutes ces raisons, M. Sofiene livre sa conclusion.

Tout d’abord, il demeure convaincu que «la réponse à la crise ne viendra ni des experts ni des gouvernements, elle viendra de nous tous, de notre effort de comprendre et surtout de notre effort d’agir, d’où le rôle central à jouer par la société civile». Et pour cause? Maintenant que les Tunisiens ont réalisé la révolution politique, il les invite d’entamer deux autres révolutions, à savoir celle “culturelle et mentale“, en vue de réhabiliter les valeurs de travail, d’équité, d’égalité des chances et de citoyenneté, et celle “économique“ en valorisant les gains de productivité, la récompense selon l’effort et l’investissement matériel et immatériel.

Pour y parvenir, l’universitaire propose trois pistes à explorer.

Piste 1: Une réorientation du rôle de l’Etat qui doit intervenir pour :

*favoriser l’investissement régional qui doit tenir compte des spécificités et des caractéristiques des régions «think global, act local»;

*favoriser une complémentarité et une synergie entre les régions limitrophes, et ceci pour développer un label régional qui pourrait devenir international (un made in régional donnant lieu à un label régional, exemple: l’harissa du Cap Bon);

*revoir la réglementation pour favoriser une plus grande liberté des décideurs régionaux;

*favoriser la création de centres de formation et d’universités à vocation technique et tenant compte des besoins spécifiques;

*investir dans l’infrastructure régionale.

Piste 2: Une plus forte implication des chefs d’entreprise dans le développement de notre pays qui se traduira par:

*la nécessité de se rapprocher de l’université et des centres de formation afin d’intervenir dans l’élaboration des programmes et même dans l’enseignement;

*l’engagement de contribuer à l’apprentissage professionnel via la formation par alternance ou par les stages;

*par la rationalisation de leurs modes de gestion par une application effective des normes internationales (ISO) et non pas par l’achat du label;

*l’initiative d’adopter les technologies de pointe et de développer des relations de partenariat privé-public dans l’objectif de la recherche et du développement.

Piste 3: Une prise de conscience des travailleurs qui doivent agir pour:

*permettre des gains de productivité par l’élimination des sources de gaspillage;

*développer une attitude plus responsable vis-à-vis de la liberté: d’une liberté des droits ils doivent passer à une liberté des droits et des devoirs;

*sur le plan de la psychologie individuelle, il y a lieu de travailler sur la cohérence selon laquelle : réflexions, paroles et actions doivent converger pour donner plus de crédibilité à chacun d’entre nous.

Au final, c’est la conjonction de l’effort de tous les acteurs économiques et de toute la société civile qui fera évoluer notre pays d’une vision dichotomique, opposant l’économique et le social, vers une vision réconciliatrice reposant sur l’humanisme et la liberté responsable, d’une part, et le social et l’égalité des chances, d’autre part.