“Le 14 janvier, une révolution spontanée ou fomentée?“ Le premier article de
cette série en trois parties, publié le
29 juin 2011 ,
représente une tentative de comprendre ce qui s’est réellement passé au cours de
cette journée mémorable pour la Tunisie.
Dans cette deuxième partie, sur la fuite de Ben Ali et l’implication ou non de
Ali Sériati dans un complot contre la sûreté de l’Etat, nous relatons les faits
tels que certains témoins affirment les avoirs vécus.
Alors qu’une division de la Brigade antiterroriste (BAT) du ministère de
l’Intérieur s’était rendue à l’aéroport au Salon d’honneur, là où les membres de
la famille Trabelsi et leurs conjoints s’étaient réunis dans l’urgence pour
partir, l’ancien président, lui, au Palais de Carthage et dans l’anxiété la plus
totale, attendait des nouvelles de Tunis.
La BAT aurait fait croire aux Trabelsi qu’elle était là pour les protéger et
voulait en rassembler le plus grand nombre de la famille. Le chef de la BAT
aurait pris la décision de son propre chef d’entreprendre cette vaste opération
d’arrestations.
La veille, la famille de la femme de l’ancien président au grand complet avait
passé la nuit au Palais Sidi Dhrif, des plus proches aux plus éloignés. Ali
Sériati, alors directeur général de la sûreté de l’ancien président, était
rentré chez lui à minuit et a repris le service à 6h du matin.
L’Avenue Habib Bourguiba était en train de se remplir des manifestants dont la
colère avait été ravivée par le discours prononcé dans la soirée du 13 janvier
par l’ancien président. La généralisation de la contestation au Centre-ville,
conjuguée à l’absence de forces de l’ordre et aux attaques des résidences des
familles, n’étaient pas rassurantes du tout. A 12h, le général Sériati a dû
donner un rapport à Zine El Abidine Ben Ali, l’informant de l’évolution de la
situation dans la capitale.
Dans la matinée du 14, il y avait 8 cortèges funèbres de martyrs au Centre-ville
et au Kram, ce qui risquait de compliquer encore plus les choses. Ali Sériati en
aurait discuté avec l’ancien président qui lui aurait répondu qu’il en parlerait
au gouverneur et qu’ils dédommageront les familles en leur donnant 5.000 DT
chacune! Comme si cela pouvait les consoler de la douleur de perdre leur
progéniture… Ben Ali aurait également averti Sériati de la présence d’un
traître au sein de la garde présidentielle. Ce sont les services secrets anglais
qui l’en auraient averti, lui explique-t-il.
Une autre information serait parvenue au président de la République de la part
des services secrets français, l’informant de la possibilité de l’existence d’un
complot contre lui… Elle aurait été ensuite démentie par ces derniers.
Réagissant aux informations qui lui étaient parvenues de Ben Ali, Ali Sériati
appelle tout de suite l’officier en charge de l’escorte présidentielle et lui
ordonne d’être très vigilent. Il le prévient et lui transmet les renseignements
concernant la possibilité d’avoir un «traître» dans ses rangs. Un témoin
affirme: «Pour le général Sériati, le plus important en ces moments précis était
de sauvegarder la vie du président, c’est sa mission et il voulait l’accomplir
jusqu’au bout. Ce qui se passait dans le pays ne faisait pas partie de ses
prérogatives».
La police se retire des ministères de souveraineté
Un autre fait significatif en cette même matinée, confirmé par Kamel Morjane,
alors ministre des Affaires étrangères, était le retrait de toutes les forces de
police en poste devant les ministères de souveraineté les laissant sans
protection: «Vers 13h30, précise-t-il, j’ai appelé l’ancien président pour
l’informer de l’absence d’agents de police devant le ministère des Affaires
étrangères, il m’a répondu: “ça, c’est grave“».
C’est à 14h précises que Ben Ali invoque le 3ème degré d’alerte, ce qui implique
la prise en charge par l’armée de tout l’appareil sécuritaire de l’Etat. C’est
en ce moment également que le général Ammar aurait pris possession de la salle
d’opération au ministère de l’Intérieur pour prévenir tout débordement et gérer
les opérations de sécurité pour protéger le pays. L’armée était devenue en ce
moment même la première responsable en charge de la sûreté nationale.
L’ancien président aurait également demandé à son directeur de protocole de
coordonner avec les autorités saoudiennes pour accueillir sa famille qu’il
voulait mettre en lieu sûr. C’est le général Sériati qui devait les accompagner.
Le président ne devait pas partir. Les villas de Seif et Mourad Trabelsi avaient
été incendiées dans la matinée du 14 janvier, la première était sise au Kram,
l’autre à Gammarth. La veille, ce sont les résidences de Belhassan Trabelsi,
d’Imed Trabelsi et de Soufiane Ben Ali, qui avaient été embrasées. Opération
orchestrée, organisée et concertée ou spontanée? On ne peut jurer de rien.
Vendredi 14 janvier, entre 14h et 15h, le général Sériati est informé que l’une
des filles du président est empêchée de prendre l’avion. Il essaye de contacter
le commissaire de l’aéroport sans succès. En désespoir de cause, il appelle S.T,
commandant de la BAT pour lui demander des explications, ce dernier le rassure
et l’informe qu’il s’en occupe. Toujours pas rassuré, le général Sériati aurait
appelé le directeur des Frontières qui rappelle lui-même le commissaire. Ce
dernier ne pouvait répondre, car lui-même aurait été immobilisé. Les Trabelsi
étaient au grand complet à l’aéroport, on attendait juste l’arrivée d’Imed.
Au su de ce qui s’était passé à l’aéroport, Ben Ali envoie les commandos de la
garde nationale (Unité de sécurité de la Garde nationale) voir ce qui s’y passe
et sévir, mais au lieu de se battre contre la BAT et libérer la famille, elle se
ligue avec elle. Les
Trabelsi qui pensaient être sous bonne garde en attendant
d’être libérés sont alors arrêtés en bonne et due forme.
Sur les côtes, les radars de la présidence auraient détecté la présence de deux
frégates sur côtes. L’hélicoptère cité par Ridha Grira n’existait pas et il
paraît qu’Ali Sériati n’en aurait rien dit au président; à ses proches, il
expliquera: «Je n’ai pas vu d’hélicoptère et le président était assez effrayé
comme ça, je ne voulais pas l’effrayer encore plus en lui débitant des
informations non prouvées». A 16h30, Ben Ali appelle le général Sériati pour lui
demander d’amener sa cadette de Sidi Dhrif. C’est tout de suite après son
arrivée que le cortège quitte le Palais de Carthage pour se diriger vers
l’aéroport présidentiel. On se doutait déjà qu’il y avait une sédition des
officiers du ministère de l’Intérieur à l’aéroport Tunis-Carthage. En cours de
route, un des officiers du général Sériati, au nom de I.Z, appelle le commandant
de la BAT pour avoir les détails, la réaction a été rapide «Rejoignez-nous, les
Trabelsi sont finis et nous devons soutenir le peuple». A l’aéroport, Sériati,
qui devait partir à Jeddah, demande à son officier de relater sa discussion avec
le commandant de la BAT à Ben Ali. Là, coup de théâtre, Ben Ali décide
d’accompagner lui-même sa famille. Sériati reprend sa mallette, et sur
instructions de l’ancien président, demeure à l’aéroport pour y attendre l’une
de ses filles qui devait partir avec sa famille à Djerba à bord d’un avion
militaire.
Ben Ali a-t-il eu peur que la scission des Brigades anti terroristes du
ministère de l’Intérieur et des commandos de la garde nationale mène à sa perte
ou a-t-il lui-même douté de Ali Sériati surtout après avoir entendu parler d’un
traître dans sa garde présidentielle? Lui seul pourrait répondre à ces questions
même si, d’après ses dernières déclarations, il accuse le directeur général
chargé de sa sécurité de l’avoir induit en erreur.
Le commandant de bord qui avait piloté l’avion présidentiel qui devait ramener
Ben Ali à Tunis aurait, après avoir regardé les informations, demandé des
instructions de Tunis. Nabil Chettaoui, ancien PDG de Tunisair, avait alors
appelé Mohamed Ghannouchi qui lui a passé Ridha Grira. Tous étaient en poste au
ministère de l’Intérieur, ce dernier lui répond que rien n’a été encore décidé
et c’est Nabil Chettaoui qui décide du rapatriement de l’avion.
A Tunis, resté sans nouvelles de leur Sériati, arrêté par l’armée à l’aéroport
Tunis-Carthage, 45 mn après le décollage de l’avion présidentiel, le n°3 de la
garde présidentielle a dû prendre la décision de convoquer Foued Mbazza,
président de la Chambre des députés, Abdallah Kallel, président du Sénat, et
Mohamed Ghannouchi, Premier ministre, appliquant en cela les directives en cas
de vacation du poste présidentiel. Foued Mbazza a refusé dans un premier temps
d’occuper le poste, et il n’était pas question que Abdallah Kallel devienne
président de la Tunisie, Mohamed Ghannouchi avait dû alors accepter de prendre
la responsabilité de la présidence du pays selon l’article 56.
Ni Mbazzaa, ni Kallel, ni Ghannouchi n’ont rejoint le palais par la force des
armes, ils ont été tout simplement appelés à assumer leurs responsabilités et à
appliquer les mesures d’urgence en pareille situation. Quant au général Sériati,
et à ce jour, en tout cas d’après son avocat, on ne possède aucun élément
tangible qui prouverait son implication dans un complot contre l’Etat. Un de ses
proches qui n’arrête pas de clamer son innocence affirme: «C’est parce qu’il a
été jusqu’au bout un homme de devoir que l’on a voulu faire de lui un bouc
émissaire».
Pour servir les intérêts de qui?
Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu beaucoup d’intox car, alors qu’il a été
arrêté à l’aéroport Tunis-Carthage le
14 janvier, on a annoncé son arrestation
beaucoup plus tard et qui plus est loin de la capitale. L’annonce a même été
faite à la télé…Pourquoi?
Et puis, si Ali Sériati avait voulu faire un coup d’Etat, pourquoi n’avait-il
pas tout simplement arrêté lui même Zine El Abidine Ben Ali, ainsi que son
épouse? Tout le peuple l’aurait soutenu et il aurait été le héros de la
révolution.
Il faudrait qu’un jour nous puissions trouver des réponses à ces questions.