Un parti réformiste. C’est comme cela que se définit le parti fondé par Kamel Morjane, «Al Moubadara». Il revendique son appartenance aux grands courants réformistes qui rappellent l’homme d’Etat tunisien et ottoman, Kheireddine Pacha, qui a milité au 19ème siècle pour la création d’institutions représentatives de cadres juridiques et légaux mis en place pour protéger les individus et en faire des citoyens à part entière.
Le ton de Kamel Morjane lors du déjeuner débat organisé par le Centre des Jeunes Dirigeants, samedi 2 juillet, dans le cadre du “CJD rounds“ avec les leaders politiques, est affirmé et sûr. Derrière l’homme politique, on perçoit tout de suite l’homme d’Etat. Il revendique l’unité des forces et des compétences et répond sans hésitation aux questions parfois «débridées» posées par les participants.
Evitant soigneusement d’entrer dans une polémique à propos de l’article 15 qui prive nombre de ceux qui ont occupé de hauts postes de responsabilités dans le gouvernement Ben Ali, il se dit prêt à soutenir toute action visant l’unité des forces et des compétences pour mener le pays à bon port: «Nous sommes prêts à coopérer avec n’importe qui et n’importe quel parti à condition qu’il partage avec nous les valeurs républicaines. Il n’est pas normal que la situation politique en Tunisie soit aussi segmentée. Il faut bien que nous accordions sur les points essentiels et il faut bien qu’il y ait des coalitions».
Parlant du développement économique, M. Morjane déclare: «Il faut avoir le courage de reconnaître que malgré la corruption, les malversations et la mauvaise gouvernance, notre économie s’en est bien sortie. Ce qui prouve que nous avons de bonnes constantes économiques et un entrepreneuriat performant. Ceci n’empêche pas qu’il faille aujourd’hui réfléchir à des stratégies plus efficaces de développement et de coopération, d’autant plus que chez nous le chômage est un problème persistant. Il n’est plus admissible de continuer sur cette déroute en matière d’emploi. Lorsque nous entendons aujourd’hui le gouvernement parler de 1% de croissance en 2011, nous réalisons tout de suite que cela ne résoudra pas la problématique de l’emploi des jeunes. 25.000 emplois par an ce n’est rien par rapport aux centaines de milliers de chômeurs. Notre ambition, en tant que parti, est de réaliser un taux de croissance à deux chiffres, nous sommes conscients que cela ne sera pas facile mais nous nous y attellerons».
Kamel Morjane estime qu’une économie ne peut être florissante sans valeurs. Celles de la solidarité entre les classes sociales, les catégories socioprofessionnelles et les différentes régions du pays. «Il s’agit là de lancer une réflexion approfondie à propos de la répartition équitable des ressources et des richesses du pays. La Tunisie est un pays qui s’est toujours situé dans le centre, il ne peut y avoir de développement sans qu’il y ait une justice sociale».
M. Morjane propose, pour y parvenir, un nouveau découpage administratif du pays sous forme de régions économiques, de l’Est à l’Ouest ou vice versa. Il n’est d’ailleurs pas le seul à y avoir réfléchi: «J’ai été agréablement surpris par le fait que cette idée est partagée au niveau d’autres partis. Il faut dire que c’est tout à fait naturel que nos programmes économiques se ressemblent. Car, contrairement à ce que beaucoup pensent, les politiques économiques sont contrôlées par les marchés et l’économie mondiale et c’est valable pour tout le monde».
D’où le fait que l’économie ne peut en aucun cas être soumise à l’idéologie. «C’est une question d’équilibre entre les intérêts individuels et ceux publics. Et ceci fait partie des prérogatives de l’Etat qui a un rôle stratégique à jouer sur ce plan».
Des régions autonomes, avec des présidents ou des gouverneurs élus qui doivent rendre compte de leurs réalisations: «S’il n’y a pas d’élections, il n’y a pas de responsabilités». Ces régions doivent décider elles-mêmes des accords et des projets qu’elles doivent concrétiser dans leurs intérêts et pas seulement avec le pouvoir central et le gouvernement, mais également avec des parties étrangères.
Le rôle des gouverneurs doit changer, il ne s’agit plus pour eux de représenter le parti qui gouverne et d’appliquer les instructions des pouvoirs politiques, mais de participer de manière efficiente aux politiques de développement économique et social des régions. Ils ne devraient donc plus être rattachés au ministère de l’Intérieur, mais plutôt au Premier ministère. Le ministère de l’Intérieur a pour mission principale -et non des moindres-, la préservation de la sécurité et de la stabilité du pays. Car, sans sécurité, il ne peut y avoir d’économie épanouie.
Pour le développement du pays, la communauté tunisienne à l’étranger ne peut être négligée. Elle aura toujours un important rôle à jouer aussi bien politique qu’économique. «Il n’est pas normal que, alors que le 1/10ème de notre population réside à l’étranger, elle ne soit pas plus présente sur les terrains politique et économique du pays. Notre communauté n’est pas composée que d’immigrés chercheurs d’emplois, mais aussi de hautes compétences, sur lesquelles nous pouvons compter. Savez-vous que le chef de service de l’informatique de l’Université de Hong Kong, ingénieur responsable des recherches sur l’érosion maritime dans cette île, est Tunisien?».
Libéral? Oui, Kamel Morjane opte pour une économie libérale mais plus humaine. Les investissements privés doivent être encouragés et l’entrepreneuriat soutenu. La dimension régionale de la Tunisie et surtout maghrébine est capitale pour le parti qui en a fait un article dans son statut. «Nous sommes le seul parti, à ma connaissance, qui en parle comme d’un élément important dans son programme politique. Le Maghreb est capital pour nous et nous militerons pour sa concrétisation». Kamel Morjane a également insisté sur la position de son parti dans le soutien de la cause palestinienne. «Nous serons toujours solidaires avec les Palestiniens et œuvrerons à aider le peuple palestinien à recouvrer son pays».