La micro-finance peut-elle constituer une solution pour résoudre la problématique du chômage des jeunes chômeurs? Jusqu’ici, le microcrédit, tel qu’il est pratiqué par les associations de développement mais aussi par Enda interarabe, l’ONG de renommée dans ce domaine, se limitait à financer des petits projets déjà existants ou aussi concrétiser des idées de projets, former et accompagner les promoteurs.
On estimait le financement des jeunes chômeurs, surtout ceux qui manquent de qualifications, trop risqué puisqu’il n’existe aucune garantie de réussite, leur permettant de rembourser leurs crédits. Mais il semble qu’une ONG française ait réussi cette aventure et son expérience aurait pris un élan international. Une expérience que la fondatrice de l’ONG, Maria Novak, est venue exposer en Tunisie avec l’objectif de faire un état des lieux de la situation en Tunisie pour d’éventuels partenariats futurs.
Elle a créé en 1989, l’Association pour le Droit à l’Initiative Economique (ADIE), s’inspirant de l’expérience du Bangladesh dans ce domaine, surtout la Grameen Bank. La réussite de l’expérience lui a permis d’étendre ses théories à d’autres pays occidentaux et de fonder le Réseau Européen de Microfinance en 2003.
Situation de dépendance…
A ces débuts, Mme Novak s’est introduite dans les quartiers difficiles là où le manque de qualifications et les difficultés ont fait grimpé le taux de chômage à des niveaux très élevés. Sa cible, les jeunes chômeurs, ceux qui, par paresse ou par indulgence, n’ont pas eu la chance d’accéder au marché de l’emploi. «Les débuts n’étaient pas aussi faciles. Personne n’y croyait. Comment est-ce possible pour un chômeur de créer son entreprise?, me disaient la plupart des gens», lance Mme Novak.
Mais l’expérience a porté ses fruits. Et au bout de cinq ans, les banques ont commencé à s’y intéresser. Depuis sa création, l’ADIE a accordé 100 mille prêts et a permis de créer 75 mille entreprises. Le taux de pérennité se situe à 60%, pour un taux de perte réduit à 3,5%. Sa fondatrice indique que 25% de son activité se fait dans les zones rurales pour des activités complémentaires à l’agriculture et 20% dans les quartiers sensibles.
Pour Mme Novak, le plus important c’est que cette action a permis de changer la vision des gens sur les chômeurs et a mis en exergue leur capacité à être responsables et dynamiques. Elle a aussi mis en cause une politique passive de l’emploi et a aidé les chômeurs à sortir de leur situation de dépendance.
Voie de sortie…
Maintenant une question: ce modèle est-il applicable en Tunisie? La présidente-fondatrice de l’ADIE en est convaincue, estimant que la France et la Tunisie ont un public similaire: beaucoup de jeunes mais aussi des travailleurs peu qualifiés qui ont du mal à trouver de l’emploi et qui ont certaines capacités au niveau relationnel, commercial ou des services, leur permettant de créer une entreprise. Elle considère que le microcrédit est créateur de richesses, étant lui-même un instrument de lutte contre le chômage et contre la pauvreté. «Du moment que vous octroyez le microcrédit à des personnes qui n’ont pas eu accès ni au marché du travail ni aux banques, et sont dans des situations personnelles difficiles, qu’importe! Dans de telle situation, c’est une voie de sortie intéressante. Je pense qu’une société qui ne donne pas du travail à ses jeunes est une société suicidaire», avertit-elle.
Il est important aussi de noter que l’ADIE a œuvré à lancer des projets innovants en matière de création d’entreprise. Mme Novak cite le projet «créajeunes» qui vise à former des jeunes en gestion et marketing. Un autre projet a développé ce qu’on appelle la «microfranchise solidaire», un pur produit de la crise, selon la présidente de l’ONG française. L’idée était de développer un instrument pour les vendeurs ambulants qui ont été confrontés aux difficultés et sont concurrencés par les magasins «low cost». Il s’agissait de créer des filières de microfranchise, en accordant un fonds d’investissement à chacune d’elle. Ces filières sont une sorte de services complémentaires et innovants. On cite l’exemple des chauffeurs sans voiture, les bricoleurs, les services de rénovation, les soins esthétiques à la maison, etc.
Instrument efficace…
Pour ce qui est de l’applicabilité de la micro-finance aux jeunes diplômés, Mme Novak nous affirme que c’est tout à fait possible. «Bill Gates a commencé dans un garage. Il faut commencer petit pour ne pas prendre trop de risques. Ensuite, si le projet est bien adapté au marché, et si on a la possibilité de le faire grandir, on peut le faire. Mais je ne conseillerais pas à un jeune, y compris des gens qui sont très bien éduqués, de se lancer tout de suite dans un projet trop important qui présente fondamentalement beaucoup de risques», conseille-t-elle.
Mme Novak a aussi exporté son expérience dans d’autres pays, à l’instar de l’Europe centrale, où elle a travaillé dans les Balkans, pendant la période de transition et en Bosnie après la guerre. De part son expérience, elle estime que le microcrédit est un bon instrument pour les pays qui se trouvent dans des situations difficiles. «Il permettait aux gens d’assurer leur quotidien, de faire démarrer une activité économique qui était complètement détruite. En tout cas, j’ai toujours aperçu le microcrédit comme efficace dans des situations de transition considérées comme difficiles», explique-t-elle.
Cadre légal…
Concernant le cadre légal et institutionnel de la micro-finance, la France a fait des avancées dans ce domaine. Le cadre a été collé sur les grandes entreprises et sur le travail salarié. La réforme a concerné l’ouverture du monopole bancaire, le droit d’emprunter pour prêter et la suppression du taux d’usure sur les prêts des entreprises individuelles (bloqué autour de 7%).
Quant aux clients, ils bénéficient d’une «amnistie» sur les cotisations sociales pendant la période de démarrage du projet, qu’ils ne payent qu’une fois ils auront commencé à réaliser des bénéfices. Il faudra dire aussi que les institutions de microcrédit sont bien gâtées en France. Elles sont financées par des prêts à des taux réduits et les banques supportent le risque à hauteur de 30%. Ce qui n’est pas le cas en Tunisie où les institutions similaires sont assujetties aux taux d’intérêt usuels, entravant ainsi leur liberté d’action.
D’ailleurs, on affirme que le cadre réglementaire est en cours d’étude. Les réformes préconisées pour consolider ce genre de financement concernent la définition des prestations et des opérations effectuées par les institutions de crédit et la participation à la centrale des risques. Il s’agit aussi de la mise en place d’un cadre de supervision pour les volets quantitatifs (normes de gestion prudentielle compte tenu de l’assise financière) et pour les volets qualitatifs englobant la gouvernance et le contrôle interne. On envisage aussi de créer un organisme spécifique, au sein du ministère des Finances, ayant pour mission la supervision des institutions de microcrédits.