C’est une task force constituée des équipes des ministres des Finances, de
l’Equipement, de l’Industrie et du cabinet du Premier ministre qui, selon le
vice-président de l’Université Paris Dauphine et ancien ministre chargé des
Réformes économiques et sociales et de la Coordination avec les ministères
concernés qui a concocté
le plan de relance économique soumis au G8. Alors que lui a fait de la
«diplomatie économique» pour en faciliter la «vente» aux pays membres de cette
instance et autres institutions multilatérales.
Le plan de relance économique et sociale soumis par le gouvernement tunisien au
Sommet du G8 à Deauville (27-28 juin 2011) a été préparé en un temps record
–près de trois mois- et par des compétences tunisiennes, en l’occurrence
principalement par les équipes des ministères des Finances, de l’Industrie, de
l’Equipement et du cabinet du Premier ministre –dont font partie Afif Chelbi et
Mohamed Nouri Jouini, ex-ministre de l’Industrie et des Technologies de la
Communication, et de la de la Planification et de la Coopération internationale.
Cette task force a travaillé en étroite collaboration avec Elyès Jouini qui a
joué «un rôle de diplomatie économique. C’est-à-dire que je me suis fais
l’intermédiaire entre le gouvernement et les différents sherpas travaillant dans
les différents pays sur la préparation du G8. En quelque sorte, j’ai joué le
rôle de sherpa pour le gouvernement tunisien. Donc, j’ai rassemblé les
informations que me donnaient les ministères et j’ai mené les discussions avec
les différents pays concernés», explique le vice-président de l’Université Paris
Dauphine. Car ce brillant mathématicien et économiste –meilleur jeune économiste
de France en 2005- n’a pas coupé le lien ombilical avec la Tunisie lorsqu’il a
démissionné du gouvernement après le départ de Mohamed Ghannouchi, le Premier
ministre de l’ère post-Ben Ali, fin février 2011.
Le ministère des Finances a beaucoup travaillé sur la conception des outils, en
l’occurrence une Caisse des dépôts et consignation, le Fonds générationnel, des
fonds d’amorçage, des incubateurs, etc. De cette façon, lorsque «l’argent
arrive, il n’atterrit pas dans le budget de l’Etat, mais dans des fonds dédiés,
dans le but de booster l’entrepreneuriat, et faire en sorte que toutes les
énergies aillent vers le développement de nouveaux projets. Et cela va de la
micro-finance au venture capital, le capital-risque, le capital-investissement,
aux pépinières d’entreprises, au développement de zones industrielles et pôles
de compétitivité», observe Elyès Jouini.
Le ministère du Développement régional a travaillé sur la partie «soutenabilité»
du projet et de la dette, c’est-à-dire pour une réponse à une question clef:
«est-ce qu’on peut emprunter dix milliards, 20, 50 ou 100? En fonction de notre
capacité de remboursement, de l’impact sur le budget de l’Etat». Le ministère a
répondu en indiquant que «jusqu’à 25 milliards de dollars sur cinq ans, on est
capable de lever en interne, c’est-à-dire sur budget propre, sur les prêts
classiques, etc., pour 25 milliards on est capable de lever 100 milliards. Donc,
pour 1 dollar que nous donne ou nous prête la communauté internationale, on peut
en avoir 4. On reçoit 25 mais on investit 125 milliards sur 5 ans». Ce qui,
selon notre interlocuteur, constitue «un changement d’échelle très important,
puisque d’habitude, pour le plan de développement quinquennal, on est plutôt sur
des investissements de l’ordre de 40 milliards. Il y a donc un changement de
vitesse pour booster l’économie».
Le ministère de l’Industrie et de la Technologie a travaillé sur la dimension
pôles de compétitivité, zones industrielles, etc. Celui de l’Equipement a
planché sur des projets de développements d’infrastructures. Le plan de relance
fait en effet la part belle aux infrastructures et cela pour trois raisons qu’Elyès
Jouini détaille.
D’abord, «lorsqu’on investit dans les infrastructures, on crée immédiatement de
l’emploi. Et c’est de l’argent qui peut être plus facilement mobilisé parce que
les bailleurs de fonds savent où ils ont mis leur argent».
Ensuite, «parce que cela permettrait de désenclaver les régions de l’intérieur.
On sait bien que la révolution est partie de là et que si on ne fait pas un
effort et un geste important vis-à-vis de cette partie du pays…».
Enfin, «les incitations fiscales, sociales, etc. mises en place durant deux
décennies ayant été insuffisantes, il faut que les investisseurs puissent
accéder aux ports, aux aéroports, à l’administration facilement si on veut
réellement les attirer vers les régions de l’intérieur. «Si l’administration
régionale est incapable de prendre la moindre décision et que l’investisseur
doit systématiquement aller à Tunis, et que les routes sont en mauvais état, on
ne convaincra pas les investisseurs de venir, ou les seuls à s’installer seront
ceux que j’appelle les chasseurs de primes. Ils viennent parce qu’il y a un
avantage fiscal, social, et une fois l’avantage prend fin, ils sont en position
de force pour menacer de partir s’ils n’en obtiennent pas d’autres. Donc, il
faut un modèle différent», avertit l’ancien ministre.
Et puis le développement du réseau d’infrastructures permettrait de faire de la
Tunisie, «idéalement centrée au milieu de la Méditerranée, une plateforme
logistique pour couvrir la Libye demain, l’Algérie, éventuellement l’Afrique
sub-saharienne jusqu’au Niger». D’autant que, «pour l’instant, la communication
entre l’Algérie et le Maroc ne se faisant pas pour le moment, on a beau y avoir
un port en eau profonde à Tanger, il ne dessert pas l’Algérie».
Certes, pour l’instant on ne sait pas si la décision prise sous Ben Ali
de
réaliser le port en eau profonde à Enfidha va être maintenue. «Il faudra
probablement refaire les études pour être sûr que les décisions telles qu’elles
étaient prises sont dans l’intérêt du pays, et pas dans celui de X ou Y. Mais en
gros, les équipes du ministère de l’Equipement ont validé l’idée qu’il y a
besoin d’un port en eau profonde. Où? Cela reste à étudier», observe Elyès Jouni.
Et bien que le document soumis ne constitue pas «un vrai plan de développement»
au sens strict -«parce que le gouvernement n’a pas la main aujourd’hui pour
mettre en place un vrai programme économique»-, il a été jugé par les bailleurs
de fonds «mieux structuré» que celui présenté par l’Egypte.