A l’heure où l’on annonce la création prochaine d’un Musée des Beys, il est,
sans doute, bon de rappeler les faits et gestes de certains monarques
husseinites, qui ont participé à faire l’histoire glorieuse d’un pays dans
lequel ils se sont fondus et dont ils ont aimé et servi le peuple.
L’histoire est rapportée dans l’ouvrage de Ahmed Ibn Abou Dhiaf, «Ithaf Ahl
Azzamen By Akhbar Moulouk Tounes Oua Ahd Elamen» (Présent des hommes de notre
temps. Chroniques des rois de Tunisie et du Pacte fondamental), qui a raconté
dans le détail la vie et l’œuvre de la famille husseinite, ou du moins une
partie d’entre elle; dynastie qui a gouverné la Tunisie de 1705 à 1957, date de
la proclamation de la République et de la désignation de la Constituante du
leader Habib Bourguiba, premier Président de la Tunisie indépendante.
L’épouse du bey réformateur Hammouda Pacha (1759-1814) qui voulait savoir
pourquoi ce dernier ne dépensait pas autant d’argent, à l’occasion de la
circoncision de l’un des membres de sa famille, qu’un riche commerçant du
royaume de Tunisie, le Bey avait tout simplement répondu “parce que le
richissime commerçant dépensait son propre argent alors que le roi utilisait les
deniers de l’Etat“.
Cet épisode en dit long sur le sens de l’Etat de Hammouda Pacha présenté par les
historiens comme l’un des rois de la dynastie husseinite qui a écrit les plus
belles pages de l’histoire de la Tunisie. L’homme a, en effet, plus d’un fait
d’arme.
Fier de se vêtir avec des habits fabriqués en Tunisie
Il a notamment défendu ardemment la souveraineté de la Tunisie portant la guerre
en Libye et en Algérie pour s’assurer que des amis de son royaume gouvernent aux
frontières de son pays. On lui doit également le renforcement des remparts et de
casernes de la médina de Tunis et la construction de nouveaux remparts et
casernes. Il augmente, par ailleurs, tout le long de son long règne (1782-1814),
les effectifs de l’armée et les restructure.
On lui doit également la construction de Dar El Bey (actuel siège du Premier
ministère) à la Kasbah. Et le souk qui le longe.
Mohamed Ibn Slama, lettré du XIXe siècle et historiographe d’Ahmed Bey, le
considère comme “l’élu de la dynastie husseinite … qui a assuré la grandeur de
l’Etat tunisien et élevé son rang …” (voir Hammouda Bacha et Ahmed Bey,
Professeur Khélifa Chater,
http://www.khalifa-chater.com/ @histoire-contemporaine/ reformes-ahmed-bey.html ).
Mais beaucoup d’historiens -et pas seulement- veulent retenir sa défense d’un
Islam modéré qui se nourrit de l’esprit de l’«ijtihad» et qui bannit la haine et
l’extrémisme. Ainsi, Ibn Abou Diaf se souvient, toujours dans son ouvrage, la
réaction virulente de Hammond Pacha à la lettre de Mohamed Ibn Abdelwaheb, père
de la doctrine wahabiste, qui avait circulé à la fin de son règne dans les
mosquées appelant à un Islam rigoriste.
Hammouda Pacha avait ordonné aux hommes de religion tunisiens de répondre point
par point à cette lettre détruisant également un à un les points défendus par
Mohamed Ibn Abdelwaheb et ridiculisant une lecture de la religion qui n’est pas
conforme aux préceptes de l’Islam, du rite malékite et… de l’âme du peuple
tunisien.
Nombre d’historiens retiennent également sa grande fierté de ne se vêtir que de
vêtements fabriqués en Tunisie. Il refusait du reste de rencontrer les
dignitaires qui arboraient des vêtements turcs notamment pendant les fêtes
religieuses.
Le passage à une monarchie constitutionnelle
Mais celui que les historiens retiennent, sans doute, comme le le Bey le plus
réformateur est Ahmed Bacha Bey (1806-1855). On retient, à ce propos, notamment
son abolition de l’esclavage, le 26 janvier 1846, bien avant la France, qui l’a
fait le 27 avril 1848. Il est bon de souligner qu’Ahmed Bacha Bey avait déjà, en
1841, fermé le marché des esclaves, au souk Al Birka, dans la médina de Tunis,
et démoli les boutiques réservées à ce commerce.
Décrit comme un «esprit éclairé et ouvert aux idées de progrès» (voir le récit
de Mokhtar Bey dans Histoire Générale de la Tunisie, Tome III, Les temps
modernes (1534-1881)), il crée -déjà- l’Ecole Polytechnique du Bardo, en 1838,
pour enseigner l’art de la guerre, mais aussi les disciplines scientifiques, les
sciences administratives, les langues étrangères, la littérature et la religion.
Son action dans ce domaine va beaucoup inspirer un autre monarque tunisien:
Sadok Bey (1859-1882). Un personnage complexe en raison de ses erreurs et
écarts, et notamment par ce qu’il a facilité, en endettant l’Etat tunisien, la
colonisation de la France, en 1881.
Mû par une réelle volonté de réforme, du moins au début de son règne, il choisit
Kherreddine, comme Premier ministre, en octobre 1873. Ce dernier va réformer
l’administration, l’enseignement et la justice en instaurant une gouvernance
avant la lettre. Il crée, en janvier 1875, le collège Sadiki, qui va former
l’élite tunisienne qui, par ses luttes, va chasser le protectorat français en
1956.
C’est aussi sous le règne de Sadok Bey que la Tunisie se dote, en janvier 1861,
de la première Constitution du monde arabe, et bien avant des nations
européennes. Cette Constitution marque une volonté de passage d’une monarchie
absolue à une monarchie constitutionnelle.
Ce tableau serait certainement incomplet si l’on ne venait pas à citer Sidi El
Moncef ou Moncef Bey (1881-1943), incontestablement le plus populaire des Beys.
Un roi nationaliste qui s’est opposé, plus d’une fois, aux représentants du
protectorat. Chose qu’il a payé de sa vie: il a été assassiné, en 1948, alors
qu’il se trouvait en exil par les autorités françaises de l’époque.
Parmi ses faits d’arme: le fait d’avoir défendu ses concitoyens de culte
israélite contre les représentants du régime de Vichy rappelant qu’ils étaient
autant égaux en droits et devoirs que les Tunisiens de culte musulman. Et
refusant le port par ces derniers de l’étoile jaune, l’instauration du travail
obligatoire et leur déportation dans les camps de concentration nazie.
A l’heure où l’on annonce la création prochaine d’un Musée des Beys, il est,
sans doute, bon de rappeler les faits et gestes de certains monarques
husseinites, qui ont participé à faire l’histoire glorieuse d’un pays dans
lequel ils se sont fondus et dont ils ont aimé et servi le peuple.